Notre entretien
avec l’auteur
Vous vous intéressez aux romans québécois dont l’action se déroule à Paris. Les protagonistes de ces œuvres, signées par des écrivains majeurs – Gabrielle Roy, Anne Hébert, Michel Tremblay, Marie-Claire Blais, Jacques Godbout – connaissent tous dans cette ville, qu’ils convoitaient pourtant si ardemment, une expérience douloureuse caractérisée par un sentiment de rejet, d’exclusion. N’y a-t-il vraiment aucune exception ?
Bien sûr, il y a une exception : c’est Paris en miettes ! Il s’agit d’un essai-poème qui est aussi un roman choral écrit à même les voix des auteurs qui ont été saccagées. Ce roman-essai-poème au second degré, si vous voulez, veut amener les lecteurs à prendre conscience de la réalité de ce profond complexe d’infériorité, de cette déplorable passivité et de cette presque invincible compulsion au ratage qui reviennent systématiquement dans les romans québécois qui prennent Paris pour cadre. Cette prise de conscience critique est déjà, en soi, une manière de ne plus simplement se laisser engluer dans la gangue commune du défaitisme et de l’impuissance, de ne plus la subir comme une fatalité, de ne pas la reproduire ad nauseam comme ce fut toujours le cas jusqu’ici, mais de parvenir à la prendre à partie, à la mettre à distance pour s’en jouer de façon ludique et brutale, à la dynamiter pour la faire revoler un bon coup! On peut voir ce livre comme la tentative de créer un amalgame romanesque irrévérencieux où le héros, enfin, prend lucidement conscience de ses misères, renonce à la complaisance pour se donner les moyens de passer à autre chose. Et cette autre chose, si vous voulez, ce sont, d’abord, les poèmes — dont certains sont absurdes, certains sarcastiques et caricaturaux, d’autres carrément trash — et, ensuite, les photos que j’ai prises sur place, lesquelles visent à montrer, preuves à l’appui, qu’il est possible de se doter d’un regard original sur la Ville Lumière, ce que ne parviennent à faire aucun des protagonistes imaginés par Jacques Poulin et consorts.
Justement, parlons des poèmes. À travers ces passages en vers libres émaillant votre texte, vous évoquez, non sans malice, les différents accents, québécois et parisien. Cet apparent malaise des Québécois à Paris, du moins dans la fiction, ne serait-il au fond qu’une question d’accent ?
La malice est une volonté de nuire, de faire du mal par des moyens le plus souvent sournois. Je ne crois pas qu’il y ait de la malice dans Paris en miettes. Il se peut que le propos choque, qu’il vienne bousculer une certaine façon d’aimer béatement son Québec en se refusant à voir ses mesquineries et ses médiocrités. Cela peut déranger, je le conçois bien. Mais je ne suis pas pour autant malicieux. Et mon livre pas davantage. Sarcastique et irrévérencieux, assurément, mais pas malicieux.
Par ailleurs, cette question de l’accent est abordée de front dans un seul des textes poétiques. Il s’agit d’un élément qui revient constamment dans les romans et qui explique en partie pour quelles raisons nos personnages se montrent tellement inaptes à s’épanouir en territoire universel (car voilà ce qu’est Paris pour notre roman : un territoire de l’universalisme littéraire). Cependant, il y a beaucoup d’autres éléments qui expliquent cette impuissance générale, et ceux-ci sont tous détaillés dans Paris en miettes.
En fait, les poèmes remplissent plusieurs rôles. Certains jettent un regard ironique et critique sur nos marasmes parisiens. Quelques-uns dévoilent plutôt, de façon un brin déjantée, les principes (très sérieux) de ma méthode de travail et de ma poétique. D’autres encore exposent une version en partie fantasmée de certains souvenirs tirés de mes propres séjours parisiens, ainsi que de scènes marquantes, voire traumatiques de mon passé familial dans ce qu’on pourrait appeler un Québec profond, misogyne, raciste, homophobe et violemment anti-intellectuel. Enfin, il y a des poèmes qui inventent un autre Paris, un autre héros : ceux-là sont comme des micro-romans, des visions fragmentaires de ce que notre littérature pourrait s’essayer à faire pour en arriver à dire différemment Paris. Certains poèmes se jouent d’un argotique franchouillard réinventé, d’autres du joual, d’autres encore du jargon parascientifique propre aux universitaires formés dans les départements de lettres, dont je fais maintenant partie. Ces poèmes sont un espace d’expérimentation critique et d’expression libre, autant d’échappées hors de notre désespoir romanesque !
On peut voir ce livre comme la tentative de créer un amalgame romanesque irrévérencieux où le héros, enfin, prend lucidement conscience de ses misères, renonce à la complaisance pour se donner les moyens de passer à autre chose.
Extrait de l’entretien
Comment, selon vous, serait-il possible de briser ce qui ressemble fort à une « malédiction » ?
On pourrait, et même on devrait, oui, imaginer un écrivain ou une écrivaine du Québec qui souhaiterait composer enfin notre grand roman de Paris, un roman stimulant, novateur, brillant, surprenant, un roman nous sortant une bonne fois de nos ornières déprimantes et risibles. Vaste défi ! Mais ce sont de tels défis, n’est-ce pas, qui donnent un peu de sens à l’entreprise et aux prétentions littéraires. Eh bien, sans fausse modestie aucune, mais avec l’un de ces clins d’œil pince-sans-rire dont mon écriture, semble-t-il, a le secret (un secret bien gardé), je dirai que, pour parvenir à ses fins, cet écrivain ou cette écrivaine ferait bien de commencer par lire Paris en miettes.
Livre publié dans la collection « Liberté grande ».