Alexandra SzackaJe ferai le tour du monde

De la Pologne à Trois-Rivières, puis aux quatre coins du monde.

Notre entretien
avec l’autrice

Dans Je ferai le tour du monde, vous revenez sur votre parcours professionnel et personnel, de votre exil de Pologne durant l’adolescence à votre carrière dans le milieu journalistique. Comment avez-vous vécu ce retour dans le passé, à travers l’écriture ?

Ce fut une expérience extraordinaire! Comme je n’ai pas tenu de journal de façon continue pendant toutes ces années, j’ai dû fouiller dans ma mémoire, vérifier et contre-vérifier mes souvenirs, avec l’aide, entre autres, des personnes qui étaient à mes côtés dans les différentes périodes de ma vie.

Cette écriture m’a également permis de réfléchir plus en profondeur à la signification du travail que nous faisons comme journaliste, aux dilemmes moraux et éthiques auxquels nous devons faire face, souvent dans l’urgence. C’est un luxe de pouvoir repenser à son parcours personnel et professionnel de cette manière et de pouvoir le partager avec d’autres. Comme journaliste de télévision je n’étais pas habituée à des exercices d’écriture d’une telle ampleur et cela n’a pas toujours été facile. Être seule, devant son ordinateur, pendant deux ans, deux ans et demi, avec tous les doutes que cela suppose… Heureusement j’ai pu bénéficier d’un appui extraordinaire de mon éditeur, Jean Bernier, et je salue sa patience. Ce fut un véritable apprentissage pour moi et j’ai maintenant une très grande envie de continuer.

Immigrer n’est jamais chose facile, mais immigrer en plein cœur de l’adolescence pour atterrir à Trois-Rivières est un défi de grande taille. Si vous pouviez parler à l’adolescente que vous avez été, quel conseil lui donneriez-vous ?

Accroche-toi! La vie est longue et pleine de surprises, entre autres, d’heureuses surprises. Ce qui te paraît être une tragédie, un déracinement, une perte de repères, se transformera en une richesse. Cette nouvelle vie n’a pas besoin d’effacer celle que tu viens de quitter, que tu as été forcée de quitter. Elle s’ajoutera à celle-ci, comme une autre couche d’un délicieux gâteau opéra, et t’enrichira.

Tu rencontreras plein de gens formidables, que tu n’aurais pas rencontrés autrement. Ne passe pas à côté d’eux les yeux pleins de larmes. Regarde autour de toi et tu verras que ta vie ne fait que commencer. Saute dans cette rivière nouvelle qui t’emmènera loin, si seulement tu le veux.

C’est un luxe de pouvoir repenser à son parcours personnel et professionnel de cette manière et de pouvoir le partager avec d’autres.

Extrait de l’entretien

Vous avez retrouvé la trace de nombreuses personnes qui ont fait l’objet de reportages passés, pour découvrir ce qu’il était advenu d’elles. Y a-t-il une histoire ou une rencontre qui vous habite particulièrement, encore aujourd’hui ?

Plusieurs personnes que j’ai rencontrées au cours de ma carrière tiennent une place particulière dans mon cœur. Mais celui à qui je pense le plus souvent, peut-être parce que son pays est sans cesse dans l’actualité, c’est Wang Dan, le jeune leader du printemps de Pékin, que j’ai retrouvé trente ans plus tard.

Son idéalisme, sa soif profonde de démocratie, forme de gouvernement qu’il voulait tant pour son pays, n’a jamais été étanchée. Son rêve a été broyé par les chars de l’Armée du peuple, entrés sur la place Tian’anmen le 4 juin 1989. Lui-même a fait des années de prison.

Il vit maintenant aux États-Unis… et rêve toujours. Mais la Chine qu’il voulait construire avec ses camarades de lutte est aujourd’hui un mirage plus inatteignable encore qu’il y a trente ans. Pourtant c’est grâce à des gens comme lui que le monde avance. J’ai un respect immense pour ceux qui osent contester l’ordre établi au prix, souvent, de leur vie ou de leur liberté.