Akos VerboczyLa Maison de mon père

Retour en terre natale entre nostalgie et ironie.

Notre entretien
avec l’auteur

Les thèmes de l’immigration et de l’identité sont très présents aussi bien dans votre essai Rhapsodie québécoise que dans votre premier roman La Maison de mon père. Comment s’opère le passage d’une dimension documentaire à une dimension littéraire sur une même thématique ?

L’exil, l’identité, l’immigration, l’héritage, la transmission, la filiation étaient déjà, il est vrai, des thèmes présents dans Rhapsodie québécoise. L’adage selon lequel on écrit sur ce qu’on connaît s’applique sans contredit à mon cas. Encore là, « connaissance » est un bien grand mot: il serait préférable de parler de sujets qui occupent et préoccupent l’immigrant que je suis. Quand on a changé de pays, on est très rapidement confronté à sa différence, à ce qui nous éloigne et nous rapproche des autres.

Au moment d’écrire mon premier livre, j’étais assez néophyte et je trouvais plus simple et plus naturel d’écrire de courts chapitres et autant d’anecdotes qui peuvent être lus de manière indépendante et qui n’ont pas, entre eux, la cohérence stylistique et narrative qu’exige le roman. Je dois tout de même avouer que je flirtais déjà avec la fiction, je cherchais déjà à mettre en récit des événements, à façonner des personnages sans toujours m’encombrer de l’ensemble des faits.

La forme du roman ne s’est imposée qu’en cours d’écriture de La Maison de mon père. Au départ, je voulais écrire un récit autobiographique en m’approchant de la creative nonfiction du monde anglo-saxon, ou mieux encore, du « roman sans fiction ». L’expression me vient d’Emmanuel Carrère qui qualifie ainsi ses livres où l’écrivain-narrateur se permet d’entrer dans la tête et la vie des personnages. Je n’ai pas tout à fait réussi. Plus j’écrivais, plus le récit exigeait un travail d’imagination pour combler les trous (de mémoire), pour décrire des événements dont je n’étais pas témoin, pour accélérer le récit, pour rendre le texte plus fluide, pour créer des atmosphères, pour caractériser les personnages.

Bref, j’ai fini par me libérer des contraintes du réel et me permettre des libertés dans la chronologie et la description de certains événements et lieux, voire des personnages. Que ces derniers – morts ou vivants – me pardonnent.

Dans votre roman, le personnage principal retourne dans son pays d’origine, la Hongrie, mais ne s’y sent plus tout à fait à sa place. Pensez-vous que l’immigration entraîne un réel déracinement ou au contraire nous permet de réaliser que malgré le temps et la distance, les racines sont bien plus robustes qu’on ne le pense ?

Nos racines sont robustes, je n’en ai jamais douté. Mais je voulais tester cette idée avec ce narrateur qui me ressemble drôlement, mais qui est moins affirmé que moi.

Il cherche tout ce qui le relie encore à la Hongrie. Les lieux du passé, l’histoire des ancêtres, son nom de famille, ses amis d’enfance, ce qui lui reste de famille, mais surtout les souvenirs qui l’habitent depuis toujours.

Il se demande dès le premier chapitre ce qu’il vient faire dans son pays natal après toutes ces années. Suis-je en vacances chez moi ? se demande-t-il en arrivant. Tout le long du voyage, il joue tant bien que mal au « local » sans être capable de se défaire de son allure de touriste. Il est confronté au regard des autres: compatriote plus ou moins fidèle à la Patrie, cousin d’Amérique, enfant prodigue, pèlerin sans foi ou brebis égaré qui, comme disait jadis son père, finit toujours par rentrer au bercail.

Dans le roman, la question de l’exil est aussi explorée du point de vue des gens qui meurent dans le pays où ils sont nés, comme le père. C’est d’ailleurs le cas de la vaste majorité de l’humanité, même à notre époque qui s’intéresse énormément à ceux qui partent. L’exilé, l’expatrié, le vagabond, le réfugié font, aucun doute, de bonnes histoires. Mais mon roman voulait aussi explorer l’attachement aux lieux et aux racines de ceux qui n’ont jamais quitté leur pays. Le roman est d’ailleurs dédié « à ceux qui restent ».


 

L’exilé, l’expatrié, le vagabond, le réfugié font, aucun doute, de bonnes histoires.

Extrait de l’entretien


 

La relation père-fils est un autre thème fort. Le narrateur part à la recherche de la maison de son père. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre la recherche de ce lieu et la volonté, peut-être inconsciente, de faire le deuil d’une figure paternelle trop longtemps idéalisée : qu’en pensez-vous ?

La maison est ce lieu où le père a été présent pour son fils, où le père a su transmettre un peu de ce qu’il était, du meilleur de lui-même, de ce qu’il avait toujours voulu être. Bien que géographiquement séparés, c’est dans cette maison de campagne que le père et le fils ont été plus proches que nulle part ailleurs. « Comme si on ne s’était jamais quittés », disons-nous lors de retrouvailles réussies. En se souvenant de ces rares moments de bonheur, le narrateur veut faire la paix avec le souvenir doux-amer de son père distant.

Revisiter le pays et retrouver la maison du père peuvent également être mises en parallèle. Tout comme le deuil de l’un comme de l’autre. La maison, bien que très concrète, peut sans doute être vue comme la métaphore du pays. « Rentrer à la maison » est d’ailleurs une expression qui intrigue le narrateur. J’ajoute que ház / haza (maison / patrie) ont une même étymologie en hongrois. On peut effectivement se demander s’il n’y a pas de lien entre l’idéalisation de la figure paternelle et du pays natal.