Robert Lalonde et Jonathan HarnoisTu me rappelles un souffle

Incursion au cœur d’une amitié sincère.

Extrait de l’œuvre

Automne 

Je t’écris debout au soleil, peux-tu croire, pendant que mon chien fourrage dans les feuilles mortes avec une curiosité passionnée, presque amoureuse, qui n’est pas sans me rappeler la quête zigzagante de nos errances écrivaines – on est bel et bien des renifleurs d’invisible. Je suis resté quelques jours avec le ouf au ventre que m’a fait ton dernier message. Je regarde en effet mon crépuscule de trentenaire avec beaucoup de circonspection. Je touche, du bout de mon stylo, ma petite part d’un gâteau de gloire qui n’a pas si bon goût. Pourtant j’ai tant cherché. J’ai tant travaillé, tant couru, tant donné tout ce que j’ai pu. J’en ai bichonné, des fictions fades. J’en ai pomponné, des romans sans couleur. J’en ai gonflé dans le vide, des ballons crevés de poèmes. Je me le suis pressé, le cerveau, mon citron de mots, même jusqu’à l’épuisement. J’ai rarement réussi à extraire de moi autre chose que limon imbuvable et limonade imbue.

Je me demande parfois, vraiment, sincèrement, ce que signifient ces milliers d’heures passées dans le désert de l’essai-erreur, à chercher la veine d’eau, traquer les oasis et crever les mirages. Passage obligé ? L’apprenti en quête de son métier ? Ça se peut. Comment se garder dans le feu d’écrire ? Comment l’habiter heureux, le vivre en se sentant nourri ? Pourquoi écrire ? Vers quoi écrire ? D’où écrire ? Comment garder vivante une écriture qui nous donne la vie ? Ça me fait du bien de parler de ça. Je suis content d’être enfin aujourd’hui. Content de me tenir avec toi devant ces questions. Oui, Robert, dans cette aube du regard je pense que j’aurai besoin de toi. Tu connais la route mieux que moi. Tu as défriché des pays que j’ignore. J’aurai besoin de ta sagesse, de ta longueur d’avance, de ton pied dans l’enfance. Merci d’arriver juste au bon moment. Merci d’apparaître à ma croisée des chemins. Le quarante approche ; j’aimerais avoir fini de m’user…

JH


 

Tu connais la route mieux que moi. Tu as défriché des pays que j’ignore. J’aurai besoin de ta sagesse, de ta longueur d’avance, de ton pied dans l’enfance.

Extrait du texte


 

Ce qu’il faut à notre corps défendant questionner, c’est cette méchante soif d’une récompense nous parvenant de n’importe qui, de n’importe où, hormis de notre propre labeur et de notre propre tréfonds. Il nous faut accepter – et même demander – qu’il nous soit donné d’être à la fois notre démon propre et notre ange attitré. On lutte avec chacun d’eux, on perd et on gagne, et pour peu qu’on mate un orgueil souvent grimpé sur ses grands chevaux, on se déséchoue et on avance.

Ça ne peut pas survenir tout seul, bien sûr. Ni à notre guise. Simplement et inexplicablement vient – tardivement parfois – une heure où le désarroi s’estompe, nous laissant de nouveau dans une sorte de jeunesse à la fois fragile et indestructible. Oublions le mot bonheur – vocable dont je n’ai jamais compris le sens. Difficile pour moi de même tenter de t’expliquer – de m’expliquer à moi-même – cette métamorphose de mon mal-être en apaisante fin de catastrophe.

Mais instinctivement je la reconnais à tout et à rien, à cœur de jour. Je ne peux pas tirer au clair exactement qui je suis devenu, comment je suis passé de poète entravé et furieux à scribouilleur quasiment tranquille et mystérieusement possesseur d’une vraie confiance. Ou, si tu veux, d’ambitieux furibond à vivant incertain mais quasiment
serein. Pas que j’envoie aux gémonies mes arrières en tumulte ni les raisons qui m’ont poussé à lutter férocement contre mes moulins à vent dans un pays sans vent : simplement, ça s’est arrêté, cette perverse nécessité de conquête, cette perverse frousse d’échouer. Le vieux filou génial que fut Flaubert – je le consulte à la moindre rechute – écrit : La nature agit par progrès. Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais. Alors je continue de me battre sans jouer à la roulette russe avec moi-même. Et le combat lui-même me suffit. Parce qu’il ne sert absolument à rien de gagner et encore moins d’avoir raison. Et puis parce que la mort rôde…
Je sais que nous reviendrons là-dessus…

[…]

RL