Gilles ArchambaultLa Candeur du patriarche

La vieillesse sans fard mais avec une sourire en coin.

Notre entretien
avec l’auteur

Dès la première page de votre livre, nous lisons ceci : « Un jour, il faudrait bien que je rende des comptes. Ce jour est arrivé. » Comment sait-on qu’un tel jour est arrivé ? Qu’est-ce qui fonde une telle conviction ?

Quand j’écris qu’il faut rendre des comptes, je tente de me justifier tout simplement. Comment un être, moi, persuadé que la vie est absurde, a-t-il pu devenir père ? Rendre des comptes ? Une absurdité de plus. Puisque le temps s’est chargé d’aggraver la situation. Je n’ai pas tardé à devenir grand-père, puis arrière-grand-père. Ma légèreté n’aura donc pas de cesse. Chamfort a raison qui dit qu’on arrive novice à tous les âges de la vie. Rendre des comptes, mais à qui et pourquoi ?

On se retrouve en fin de vie, une vie traversée de bonheurs et de déceptions, pas toujours consciente, parfois improvisée. On n’est plus seul. Les réunions familiales vous réconfortent et vous terrorisent à la fois. Que vous l’admettiez ou non, vous êtes à la tête d’une tribu. Tous ces destins issus de votre désir. Comment constater la chose sans effarement ? Il faudrait pour vaincre cette impression une force que vous n’avez jamais eue. Ce n’est certes pas dans le vieil âge que vous pourrez l’acquérir.

Un peu plus loin, vous écrivez : « La sagesse, j’ignore plus que jamais ce qu’elle pourrait signifier. » Vous vous inscrivez ainsi en faux par rapport à tous les lieux communs qu’on entend habituellement sur le vieil âge. Faut-il déplorer de ne pas savoir ce que signifie la sagesse, ou s’en réjouir ? Est-ce la marque d’un échec ou d’une réussite ?

Il m’est arrivé à l’adolescence de rechercher l’avis de personnes plus âgées que moi. Ce n’était pas toutefois leur prétendue sagesse que je recherchais. Je ne leur demandais pas de conseils. Certains d’entre eux étaient à mon écoute. D’autres conversaient. Jamais me suis-je attendu à ce qu’ils dirigent ma vie. Dans le Québec d’alors il n’était pas rare que les maîtres fussent des religieux. Athée dès mes dix-sept ans, j’ai pourtant trouvé chez l’un d’entre eux une attitude d’ouverture qui me convenait. Mais je n’attendais pas de lui la moindre directive. Depuis bientôt soixante ans, j’ai la manie de publier des livres. La tiédeur de la réception qu’on leur a faite parfois m’a déçu. Je préfère de loin cette attitude réservée à la vénération que m’aurait valu la moindre réputation de sagesse.

Je revendiquerai jusqu’à mon dernier souffle la liberté d’un manieur de mots auquel les années n’ont rien appris qui puissent servir de guide à qui que ce soit.


 

Depuis bientôt soixante ans, j’ai la manie de publier des livres.

Extrait de l’entretien


 

« Je n’ai vraiment pas tout dit », écrivez-vous aux toutes dernières pages de ce livre. Pourtant, l’écriture vous accompagne depuis plus de soixante ans. Cette impression de ne pas avoir tout dit vient-elle, chez vous, d’une volonté de discrétion ou croyez-vous que la littérature soit incapable de dire de quoi nos vies sont faites ?

Je n’ai vraiment pas tout dit. Faut-il le déplorer? Je ne le crois pas. Puisque de toute manière, c’est de mon humble tout qu’il s’agit. Me préoccuperaient bien davantage les moyens que j’ai utilisés pour tenter de parvenir à une écriture juste. Le Stendhal de la « Vie de Henry Brulard » et du « Journal » m’a servi de guide. Puis sont venus Henri Calet, Georges Perros, Dino Buzzati, quelques autres. Il ne s’agissait vraiment pas de tout dire, mais de donner mon sentiment de la vie de la façon la plus juste possible, à l’écart de toutes les modes, sans esbroufe, nue.

« Écrire, c’est dire quelque chose à quelqu’un qui n’est pas là. Qui ne sera jamais là. Ou s’il s’y trouve, c’est nous qui serons partis. » Ce qu’écrit Perros m’est très proche. Il n’est pas souhaitable de chercher à tout dire. Pour mon compte, je me contenterais d’une page ou deux qu’un lecteur point trop sot retiendrait pendant quelques années.