Notre entretien
avec l’autrice
Vous avez publié plusieurs recueils de poésie pour adultes, mais Ghostée est votre première œuvre pour les jeunes. Qu’est-ce qui vous a attirée vers la littérature pour la jeunesse ?
Ça faisait longtemps que je voulais m’y mettre, dès mes premiers cours à l’université de littérature jeunesse, j’ai eu le coup de foudre. Je sentais que ça pouvait me permettre de revisiter ma perception du monde pendant mon enfance et mon adolescence, et en les écrivant, de les revivre à travers le prisme de la poésie. Je voulais aussi travailler la narrativité de mon écriture, ouvrir de nouvelles voies, plus narratives, dans mon travail et le faire tout particulièrement pour un lectorat adolescent. Je cherchais donc l’occasion, le projet, et quand j’ai rencontré Catherine Ostiguy et la collection Brise-glace, c’était une évidence. C’était le moment attendu. Ce qui me parle tout particulièrement dans l’écriture pour cette génération de lecteur.ices, c’est cette vérité brute qu’il faut aller chercher, ce souffle qui part de plus loin que les premières blessures, cet instinct qui ne permet aucun faux-semblant ou détour. Ça m’a menée dans de nouvelles zones où j’ai encore plus pris le risque de faire preuve de vulnérabilité, avec toute la puissance de ce que ça implique. Au niveau formel, je peux ainsi être moins dans le minimalisme et tenter plutôt de faire confiance aux sons, à la puissance de chaque mot trouvé à même l’élan du cœur. J’aime sentir qu’il y a quelqu’un.e au bout du fil et que c’est pour eux que j’écris. C’est un cadeau, d’ainsi voyager à travers les époques de ma propre vie pour les rejoindre dans ce qu’ils et elles vivent ici, maintenant. Ça rejoint ma passion pour la transmission. D’amener ma poésie sur des chemins grands ouverts sur l’autre.
Vous travaillez aussi comme professeure de littérature au cégep. Comment cette proximité avec des adolescent.es et des jeunes adultes, qui sont le public cible de votre livre, a-t-elle influencé votre écriture ?
Pendant l’écriture de Ghostée, j’enseignais pour la première fois le cours d’introduction à la littérature au collégial. Ces grands yeux ouverts devant moi ont été le miroir nécessaire pour écrire Ghostée. À travers ces jeunes adultes en déploiement, je me suis revue, j’ai pisté celle que j’ai été dans cette étape si cruciale de la première année de cégep pour lui écrire ce recueil, je l’espère guérisseur, au « tu ». Comme une confidence presque chuchotée, presque une lettre d’amour à cette Ari qui découvre, dans l’expérience d’être ghostée par sa meilleure amie. À elle, mais en fait surtout à travers elle, à toutes celles et ceux qui vivent cette montagne russe d’émotions en se construisant une identité en naviguant entre les coups de foudres amicaux, mais aussi entre les premiers grands deuils. Et parallèlement à ce travail d’introspection sur le rejet, j’ai aussi appris à transmettre, en trouvant mon chemin rebelle au cœur de l’institution, mon amour puissant de la littérature, que j’ai moi-même découvert au cégep. D’un cours à l’autre, j’ai vu des têtes se relever, des cellulaires déposés dans des sacs, des mains se lever, des questions fleurir. J’ai accompagné les élèves à trouver ce qui leur parle assez fort dans un texte pour s’accrocher, pour s’indigner, être bouleversé.es et même parfois pour oser écrire. Chaque fois, ces petits miracles m’ont accompagnée jusqu’à la maison et se sont invités dans l’écriture de Ghostée, comme une lumière au bout du tunnel. On la sent dans l’ouverture finale du recueil, cette échappée, lorsque Ari, grâce à la lecture et l’écriture, arrive à panser suffisamment la blessure pour commencer le processus de guérison.
À travers ces jeunes adultes en déploiement, je me suis revue, j’ai pisté celle que j’ai été dans cette étape si cruciale de la première année de cégep pour lui écrire ce recueil.
Extrait de l’entretien
Que voudriez-vous que vos lecteur.rices tirent de la lecture de Ghostée ?
J’espère que Ghostée éclairera la route de celles et ceux qui ont vécu une blessure de rejet, que ce soit en amitié ou en amour ou dans d’autres types de relation. Mais aussi, que ça parle à ceux et celles de l’autre côté qui ont ghosté, qui, peut-être, vivent dans la honte. Que ce livre soit une occasion de dialogue, de retrouvailles pourquoi pas, mais de discussion dans tous les cas, entre ami.es, dans les familles et aussi entre les générations. Au-delà de tout, déjà il ne m’appartient plus et je l’offre les paumes grandes ouvertes aux lecteur.rices. Ce que je souhaite par-dessus tout c’est qu’il résonne, qu’il touche, qu’on y trouve son chemin vers la poésie qui n’est pas difficile d’accès, qui n’est pas un spectre qui fait peur, mais bien un angle d’approche de la littérature par ce qu’elle a de plus sauvage, brut et libre. Je souhaite que Ghostée ait une vie longue, qu’il soit prêté, emprunté, offert, que chacun.e y trouve des poèmes qui parlent directement à cette petite voix qu’on a toutes et tous en nous et qu’on écoute parfois, ignore d’autres fois.
Livre publié dans la collection « Brise-glace ».