Vincent LambertIntroduction à la vie sans fin

Un appel à lire autrement le monde.

Notre entretien
avec l’auteur

Quel(s) sens faut-il donner au titre de votre essai ?

La « vie sans fin », c’est ce que recherche Gilgamesh, le roi de la cité d’Uruk, dans la toute première histoire écrite de l’humanité, après avoir compris qu’il devra un jour mourir. Il se met donc en quête de l’immortalité. C’est là, à mon avis, un malentendu fondateur, qu’on retrouve encore dans le rêve transhumaniste de faire durer le corps éternellement, mais qu’on peut voir à l’œuvre dans bien des mirages, comme ceux du pouvoir et de la gloire, je veux parler de notre soif, de ce manque apparemment sans fin qui ne peut être comblé que par un objet lui-même sans fin. Cet objet, c’est simplement ce que nous sommes, au-delà de nos identités, c’est-à-dire une présence ouverte et totale qui correspond à la nature même de la réalité.

Dans un des chapitres de cet essai, vous parlez du « oui global » : faut-il entendre cette expression par opposition au célèbre Refus global de Borduas? Est-ce un appel à sortir de la négativité moderne?

C’est plutôt un appel à concevoir notre modernité (et nos propres vies) comme n’étant pas uniquement motivées par un refus, à voir au-delà du refus. Car ce Non, comme l’ont bien vu Robert Élie et Pierre Vadeboncœur, est l’enveloppe d’un Oui dont nous n’avons pas tellement conscience, un peu obnubilés par nos combats quotidiens, sans trop savoir au nom de quoi on veut changer le monde, au nom de quelle adhésion secrète on sent que tout, autour de nous, paraît faux, déréglé, vaguement décevant. Dans l’hommage que nous rendons aux premiers modernes, c’est leur refus qui est mis de l’avant, mais nous manquons peut-être de voir à quel point leurs raisons communes nous sont devenues lointaines, à commencer par leur définition de la liberté, presque inconcevable de démesure, confondant dans une même aspiration le spirituel et le politique, le monde ordinaire et le réel absolu.


 

C’est là, à mon avis, un malentendu fondateur, qu’on retrouve encore dans le rêve transhumaniste de faire durer le corps éternellement […].

Extrait de l’entretien


 

La littérature occupe une grande place dans votre essai. En quoi éclaire-t-elle votre lecture du monde actuel ?

Ce ne sont pas des essais sur la littérature, mais j’y ai souvent recours, sans doute parce que j’ai toujours senti que les livres pouvaient nous rendre plus conscients, peut-être même plus sages, je veux dire plus aptes à distinguer le vrai du faux, à voir nos vérités comme étant fausses et la vérité derrière nos mensonges. Je crois vraiment que la littérature nous détrompe en nous trompant. Elle nous entraîne au désillusionnement en nous branchant à ce qui compte.


Livre publié dans la collection « Papiers collés ».