Robert LalondeL’imagination que donnent les vraies tendresses

Un hommage passionné à Gustave Flaubert.

Notre entretien
avec l’auteur

La figure de Flaubert, à qui vous avez déjà dédié une pièce de théâtre (Monsieur Bovary, 2001), vous accompagne depuis vos débuts de lecteur puis d’écrivain. Qu’y a-t-il chez Flaubert, et plus particulièrement dans sa correspondance, qui résonne si fort en vous ?

Son indiscutable sincérité, sa haine de la bêtise universelle, son indéfectible conviction que seul l’art peut ouvrir les yeux sur la beauté et la vérité. Ses lettres m’ont autorisé à écrire juste et vrai, sans paraphrases ni détours stylistiques brouillant le sens. Ne pas « taper sur des chaudrons pour faire danser les ours alors qu’on voudrait attendrir les étoiles », comme l’écrit mon vieil ami.

Grâce à l’« imagination que donnent les vraies tendresses », vous inventez une correspondance entre Flaubert et vous qui se moque des frontières du temps et de la mort. Par quels moyens, littéraires ou autres, avez-vous créé votre Flaubert de fiction ?

D’abord il s’est agi d’un jeu. Un court exercice d’admiration. Puis je me suis mis au défi et j’ai filé sans plus m’interroger. Flaubert fait souvent allusion dans ses lettres à ses amis éloignés à ce qu’il appelle « l’invraisemblable vrai », qui est, somme toute, la vraie définition de la littérature. Je me suis imprudemment lancé, bafouant l’excentricité de l’aventure. Flaubert m’a répondu. Une amitié par-delà l’espace et le temps est née. L’amitié n’a ni temporalité ni lieux. Je converse avec de soi-disant disparus depuis toujours, dans mes livres, souvent plus à l’aise avec eux qu’avec mes contemporains.

 


 

Je me suis imprudemment lancé, bafouant l’excentricité de l’aventure. Flaubert m’a répondu.


 

Vous partagez avec votre vieil ami Gustave une salutaire mauvaise humeur face à votre époque. Toutefois, en refermant votre livre, on a l’impression que vous êtes moins sévère que Flaubert. Vous ne pouvez vous empêcher de vanter à celui-ci quelques avancées réalisées dans la société d’aujourd’hui, par exemple une égalité dans les relations hommes/femmes que semblait ignorer le XIXesiècle. Cela fait-il de vous un optimiste par rapport à l’avenir de notre civilisation ?

La mauvaise humeur de mon vieil ami est fouettante. Elle m’a toujours préservé d’un méchant désir d’efficacité, de même que d’un fallacieux penchant à me répandre, confinant au narcissisme. Comparant son siècle au mien – leur folie, leur obscurantisme, leurs lueurs brèves – j’ai tenté, sans doute imprudemment, de consoler mon vieux copain neurasthénique, faisant entendre la voix de l’espoir, seule capable d’assurer, vaille que vaille, la suite de notre aventure – la sienne comme la mienne – dans cette nuit sans aube qu’est souvent l’entreprise de vivre.