Adeline CauteLes Rescapés de l’orage

Un premier roman jeunesse électrisant.

Notre entretien
avec l’autrice

Les Rescapés de l’orage est votre premier roman. Parlez-nous de sa genèse, de ce qui vous a poussée à prendre la plume et à écrire pour la jeunesse.

Ça remonte à la pandémie et aux rues désertes et silencieuses de Montréal. Un après-midi, en me promenant près de chez moi dans Ahuntsic, j’ai eu l’image d’un groupe d’enfants qui remettait du mouvement, du bruit et de la vie dans le quartier. Un de ces enfants se déplaçait en fauteuil roulant, comme mon fils alors âgé de sept ans. Et cette image ne m’a plus quittée. Quelques jours plus tard, j’ai commencé à écrire le premier jet du roman, mais je manquais de temps et une longue pause de près de trois ans s’en est suivie. Quand je m’y suis finalement remise, j’avais l’impression de retrouver de vieux amis. C’était merveilleux ! Et cette fois-ci, je suis allée au bout du projet. J’ai toujours voulu écrire pour la jeunesse. J’ai un souvenir clair d’un été alors que j’avais cinq ou six ans où je me suis dit que j’allais écrire des livres. C’est d’ailleurs aussi le rêve de Sol, ma fille de cinq ans, qui invente tous les jours la suite des « histoires de Sophie ». Encore aujourd’hui, j’adore l’énergie qu’on trouve dans la littérature jeunesse, qui est très distincte de la littérature destinée aux adultes. Les livres pour la jeunesse sont bien sûr capables d’être profonds et de parler de tout, mais il me semble qu’en général on y trouve une légèreté et une joie extraordinaires. Ce sont souvent des histoires de résilience, de courage, de débrouillardise et je trouve qu’on en a bien besoin !

Dans Les Rescapés de l’orage, on suit quatre amis qui, coincés dans un Montréal devenu ville-fantôme, doivent faire preuve d’ingéniosité pour trouver un refuge. Il s’agit d’un véritable roman d’aventures en milieu urbain, où Montréal, semble-t-il, tient le rôle principal. Vous qui êtes née en France, quel rapport entretenez-vous avec la ville ? Comment vous y êtes-vous prise pour l’incarner dans le roman ?

Je suis née et j’ai grandi à Paris, mais, avant de m’installer à Montréal, j’ai passé plusieurs années à voyager pour mes études. En l’espace de dix ans, j’ai habité en Angleterre, en Irlande et à Vancouver. Et puis j’ai déménagé à Montréal et, tout de suite, j’ai compris que j’avais finalement trouvé ma ville.

Je suis arrivée au début du mois de janvier, au milieu d’une tempête de neige terrible. Je n’avais jamais rien vu de tel ! J’avais pris un arrangement pour louer un minuscule appartement sur la rue Saint-Hubert et en me donnant les clés, mon propriétaire m’a dit : « Il y a toujours un moment dans la vie où on tombe amoureux de Montréal ». Dans mon cas, ça a été instantané. Quinze ans plus tard, j’adore marcher dans les rues de Montréal, explorer ses quartiers (de préférence hors tempête de neige !). L’été, je m’improvise touriste dans les secteurs que je connais moins. On peut parfois oublier à quel point, d’un quartier à l’autre, Montréal est varié. Il y a un monde entre les berges de la Rivière-des-Prairies, une ruelle du Plateau et la rue Sainte-Catherine. Dans le livre, c’était important pour moi d’essayer d’être fidèle à ces changements, surtout à travers les yeux de mes personnages, qui ne connaissent pas la ville et qui la voient se transformer autour d’eux au fur et à mesure qu’ils la traversent. D’une certaine manière, Les Rescapés de l’orage est une longue lettre d’amour à Montréal et à ses habitants.

Sans que cela soit le sujet central du livre, vous placez au cœur du roman un personnage en situation de handicap. Quand les quatre héros se retrouvent dans le pétrin, le fauteuil avec lequel se déplace Adrien devient une contrainte dont ils n’ont pas le choix de tenir compte. Était-ce pour vous un simple ressort narratif ou une manière d’ouvrir les yeux des jeunes lecteurs à la réalité des personnes handicapées ?

Mon fils Léo est atteint d’une maladie qui le rend hypotonique, comme Adrien. Lui a d’autres défis également, mais toute notre vie est organisée autour de ses déplacements. Avant sa naissance, je n’avais aucune expérience directe ou indirecte des enjeux de mobilité et… quel choc ! Il nous arrive de planifier un itinéraire simple et court et on a presque toujours une mauvaise surprise : des trottoirs croches ou inégaux, des poubelles en travers du passage, des marches d’escalier imprévues, sans même parler des bancs de neige l’hiver. C’est vraiment un autre rapport à l’espace et aux déplacements qui a fait son apparition dans notre vie. Et malgré les défis que ça représente, ça nous force à développer des astuces et à puiser dans nos ressources, ce qui est une très bonne chose ! En concevant l’histoire, je voyais tout à travers les yeux de Léo ou d’Adrien, les deux ont fini par se confondre dans ma tête. Donc oui, d’une certaine manière, cette inclusion va peut-être permettre de montrer certains aspects de la vie d’une personne en situation de handicap à des jeunes qui n’y ont jamais été exposés. J’en serais ravie ! Ça me semble important que le handicap soit représenté dans la fiction, et pas seulement en lien avec les accidents ou les tragédies. Parce qu’au fond, à mon avis, Adrien est avant tout un personnage pétillant, fort, drôle et bien plus qu’un jeune en fauteuil.


 

 Les livres pour la jeunesse sont bien sûr capables d’être profonds et de parler de tout, mais il me semble qu’en général on y trouve une légèreté et une joie extraordinaires.


 

Vos quatre personnages ont des personnalités très différentes : Sophie est une leader parfois anxieuse ; Adrien, un garçon posé et pragmatique ; Antoine est une vraie boule d’énergie toujours prête à rigoler, et Rose, une rêveuse qui n’a pas la langue dans sa poche. Lequel d’entre eux vous ressemble le plus ?

Que c’est difficile de trancher ! Ce qui est sûr, c’est qu’à leur âge, j’étais plus gênée et bien moins débrouillarde ! À leur place, je serais encore coincée dans la cour d’école à attendre qu’on vienne me sauver.

Malgré ça, j’imagine que je ressemble un peu aux quatre. Sophie, par exemple, me rappelle mon côté organisé et mon besoin de rassembler les autres, mais elle reflète aussi mes inquiétudes et mon désir parfois un peu maladroit de bien faire. Comme Adrien, j’ai un côté pragmatique et je suis souvent en quête de solutions dans la vie de tous les jours. Cela dit, Adrien aurait bien des choses à m’apprendre, avec son côté flegmatique et imperturbable que je n’ai pas du tout ! Antoine incarne mon énergie débordante et mon goût pour les blagues que j’ai depuis que je suis toute petite. J’ai aussi son impatience quand les choses ne vont pas assez vite à mon goût. Finalement, Rose a une imagination et une intelligence extraordinaire. C’est peut-être elle qui me ressemble le moins, mais je suis convaincue qu’elle finira première ministre… !

C’est vrai aussi que, tous les quatre, ils ressemblent à mes enfants et aux enfants de mes amies, que je vois grandir d’année en année. En écrivant les dialogues, il m’est parfois arrivé de, tout d’un coup, entendre ma réplique prononcée avec la voix de ma fille Sol ou d’un enfant du voisinage. Je garde un souvenir très savoureux de ces moments qui me confirmaient que j’étais sur la bonne piste et qui ajoutaient du plaisir et une bonne dose de joie à l’expérience de l’écriture.


Livre publié dans la collection « Boréal Junior ».