Marie LabergeDes nouvelles de Martha

Les fameuses lettres de Martha reprises en livre pour la première fois!

Notre entretien avec l’auteure

Dans Des nouvelles de Martha, vous reprenez l’ensemble du grand roman épistolaire que près de cent mille lecteurs ont suivi, au rythme des lettres qu’ils recevaient chez eux toutes les deux semaines, entre 2008 et 2011. Il s’agit d’une entreprise inédite que vous avez imaginée et réalisée. Pouvez-vous nous raconter l’aventure de Martha?

C’était toute une aventure… Pour l’idée à l’origine, c’était mon habitude d’écrire des mots à ma parenté quand je voyageais afin de leur permettre de s’évader également, même s’ils étaient moins mobiles qu’avant. Et aussi, ma tristesse de constater à quel point notre société isole les gens âgés sans les accompagner. L’intense solitude de certaines personnes m’a toujours affectée et désolée. C’est ainsi que l’idée m’est venue de leur offrir un «roman à domicile et personnalisé». Et je crois que ça a fonctionné : Martha est devenue une amie à travers ses lettres. Ensuite, il y a tout le côté littéraire, quand même assez simple à réaliser pour une écrivaine. Il fallait écrire les lettres, les corriger en compagnie de ma réviseure, et les livrer à la compagnie qui s’occupait de les expédier.

Le plus fou et le plus difficile, c’était de faire arriver la bonne lettre à la bonne personne. Bâtir une base de données à partir des abonnements qui entraient à la fois par Internet et par la poste (en 2008, la Presse papier existait encore et on avait des bannières à découper et à envoyer pour s’abonner), extraire les données, imprimer les lettres, les timbrer, les expédier… et recommencer toutes les deux semaines, c’était déjà beaucoup. Mais s’assurer que tous les abonnés recevaient bien leur Martha, c’était aussi une aventure. Rien que pour les bases de données, il en a fallu trois : une pour chaque année. Et le monde opaque de ces organismes qui fricotent la magie du numérique m’était très étranger. J’ai fait mes classes. Sans mes alliées gestionnaires, comment aurais-je fait pour y arriver?

Qui a gagné le plus d’argent avec ce projet? Poste Canada, à qui j’ai versé plus d’un million de dollars! Et jamais je n’ai utilisé sur une lettre un timbre illustré avec la tête de la reine : c’était des timbres de saison, jolis et variés… que je choisissais méticuleusement. Ceci pour dire que chaque détail était soigné. Trois ans à régler toutes sortes de problèmes d’intendance, c’est probablement la constance la plus grande que j’aie fournie pour un roman. J’avais la patte attachée à ma table de travail, impossible de m’évader, il fallait travailler. Ça revient vite, une quinzaine de jours…

Si ce volume ne reprend que la version « femme » des lettres de Martha, les abonnés masculins ont reçu quant à eux une version légèrement différente. Pourquoi avoir pris cette décision d’adapter les lettres selon le genre du destinataire? Qu’est-ce que Martha pouvait dire aux femmes et non aux hommes, et vice versa?

Ce n’est pas tant ce qu’elle pouvait ou non dire, mais plutôt la manière de le dire, le ton, l’humour même, jusqu’aux proverbes qui n’étaient pas les mêmes. Je crois que, tout de suite, en corrigeant le genre des adjectifs et des participes passés, je me suis rendu compte que ça n’allait pas. On ne raconte pas ses secrets et on ne fait pas nos aveux de la même manière selon qu’on s’adresse à un homme ou à une femme. Ce n’est pas sexiste, c’est réaliste. Dès que je me suis aperçue que ce serait plus vrai de recommencer ma lettre en pensant à un homme, tout a déboulé avec fluidité.

 


 

L’intense solitude de certaines personnes m’a toujours affectée et désolée. C’est ainsi que l’idée m’est venue de leur offrir un «roman à domicile et personnalisé». Et je crois que ça a fonctionné : Martha est devenue une amie à travers ses lettres.


 

Et puis, il faut bien le dire, le ratio homme/femme du lectorat de Martha présentait le même écart que celui du lectorat en général: 84% étaient des femmes. Ce qui n’empêchait pas les hommes de lire les lettres destinées aux femmes ou de se les faire lire. J’ai eu quelques témoignages de moments privilégiés réservés à la lecture de la lettre en couple. Bien des hommes m’ont avoué avoir attendu impatiemment les lettres…

Je suppose qu’on pourrait analyser mon rapport aux hommes et aux femmes en décodant ce qui est dit ou pas dans les lettres des unes et des autres. Ma correctrice me faisait une recension précise de ce qui était manquant dans l’une ou l’autre des deux versions. Il m’arrivait de dire que je ne pensais pas que ça intéresserait les destinataires hommes… ou les femmes.

Le roman commence au moment où la dernière fille de Martha vient de quitter la maison familiale et qu’elle se retrouve à vivre seule pour la première fois en quarante-deux ans. Pourquoi avoir choisi ce point de départ, qui constituerait plutôt un point d’arrivée aux yeux de bien des gens, pour votre roman?

À mes yeux, la plupart des femmes qui sont des mères négligent leur vie et leurs envies tout le temps où les enfants ont besoin d’elle. Et quand elles travaillent, ce qui est fréquent, elles deviennent littéralement la dernière de leurs préoccupations. Ce moment où la vie bascule parce que la responsabilité est évacuée (sans l’être totalement, on s’entend) est un moment charnière où tout est repesé, repensé et réévalué. C’est une rupture et donc une chance… qui peut être mal vécue ou mal interprétée comme elle peut permettre un nouveau départ et un élan. Dramatiquement, c’est très intéressant. Martha est une femme qui s’est mise de côté sans oublier totalement qui elle était, alors cette cassure des habitudes, elle va le saisir. Je ne pensais pas qu’elle le ferait avec autant de liberté, d’audace, et de passion. Elle est si sensée, si capable de se remettre en question qu’elle en est rafraîchissante. Elle refuse d’agir selon de vieilles normes devenues caduques et elle évolue avec rapidité. Tout le contraire de la sclérose qu’on attribue généralement aux gens de plus de soixante ans. Sa façon de prendre les coups que la vie nous réserve est presque rassurante de calme et d’humour.

Quand elle parle du silence subit de l’appartement, elle utilise ce silence pour réfléchir et envisager sa vie avec une lucidité remarquable. J’ai adoré sa compagnie…la créer était comme de se fabriquer une amie.