Notre entretien
avec l’autrice
L’histoire de La Gringa est celle d’une femme, née d’une « fille-mère » dans le Québec des années 1960 et adoptée par un couple de Vénézuéliens, et qui, après avoir grandi dans un Venezuela prospère, fuit l’instabilité politique du régime Chavez pour se réfugier dans le Canada qui l’a vu naître. L’histoire peut sembler inusitée, voire rocambolesque, mais de nombreux bébés québécois ont été adoptés à l’étranger à cette époque. Comment vous êtes-vous intéressée à cette page de l’histoire ?
L’histoire que je raconte dans La Gringa est tirée de faits vécus par une personne de ma famille, dont le vrai nom est Maria. Sans être une biographie, le récit est vraiment très proche du parcours de vie de la mère de mon conjoint, la grand-mère de mon fils. Depuis que je connais Maria, plus d’une décennie aujourd’hui, je m’intéresse à son vécu – et je ne suis pas la seule : chaque fois qu’elle raconte qu’elle est née au Québec, mais qu’elle a été adoptée au Venezuela, les gens s’étonnent. Ce passé intrigant a quelque chose à dire sur un pan de notre histoire québécoise, sur l’époque pas si lointaine où les mères célibataires étaient forcées de donner leur bébé en adoption. Elles ne savaient généralement pas où aboutissait leur enfant, elles n’avaient aucune idée qu’il grandirait, peut-être, aussi loin que le Venezuela, dans une culture et une langue complètement différentes des leurs. L’histoire de Maria me paraissait incroyable, mais je me doutais qu’elle n’était pas unique. J’ai eu envie d’en découvrir plus sur les orphelins québécois et sur la multiplicité de leurs destins.
Qu’est-ce qui fait de Maria – la Gringa – un personnage de roman ?
Maria a tout d’un personnage de roman. Pour utiliser une expression des médias sociaux, je dirais qu’elle a un « main character energy » ! Plus concrètement, c’est une femme dotée d’une détermination hors du commun. Sa vie est semée d’épreuves, à commencer par ses premiers mois sur terre, qui se déroulent dans un orphelinat de Montréal sans les soins et l’amour que seul un parent peut prodiguer. Elle a un fort caractère : personne ne peut lui dire quoi faire, elle joue du coude pour créer sa place dans une société qui ne met pas les femmes au premier plan. Elle porte sa famille à bout de bras quand elle la déménage au Canada et que tous les trois deviennent du jour au lendemain des immigrants peu fortunés. C’est un personnage attachant, qui vit avec une grande anxiété, mais aussi une résilience extraordinaire et inspirante.
Votre roman a toutes les caractéristiques d’une grande saga historique, et pourtant vous ne délaissez pas le minimalisme et qui faisait votre marque dans Pas besoin de dire adieu (Boréal, 2023). Embrasser une si vaste période et plusieurs générations avec une telle économie de moyens a-t-il posé un défi particulier pour vous ?
Pas vraiment. Concevoir un livre, ce n’est jamais simple, bien sûr. Mais plus j’écris, plus je réalise que l’esprit de synthèse est mon modus operandi. J’écris des livres que j’ai envie de lire, et trop souvent, je trouve que des livres excellents seraient encore meilleurs s’ils étaient plus courts. Alors c’est une contrainte que je me donne : celle que chaque chapitre, chaque paragraphe, même, soit captivant et porte l’histoire plus loin.
Ce passé intrigant a quelque chose à dire sur un pan de notre histoire québécoise, sur l’époque pas si lointaine où les mères célibataires étaient forcées de donner leur bébé en adoption.
Vous auriez pu vous contenter de raconter l’histoire de la Gringa d’un point de vue strictement historique, et pourtant il n’en est rien : vous ancrez la narration dans le présent de l’écriture, le vôtre, celui d’une mère qui s’adresse à son fils. Ce faisant, vous menez une profonde réflexion sur la filiation et l’héritage, sur les liens du cœur et ceux du sang qui façonnent la vie des personnes adoptées, mais aussi celle des immigrants, des expatriés. Le souci de laisser une trace de ces liens était-il présent au fil de l’écriture ?
Oui. Dans le livre, je me suis donné le rôle de la narratrice, une narratrice qui raconte à son fils l’histoire de sa grand-mère. Quand je pense à la lignée paternelle de mon fils, je ne vois rien de linéaire : l’adoption, le déracinement, l’immigration, c’est comme une explosion au milieu de cet arbre généalogique. Mon fils a des racines vénézuéliennes, et d’autres de la Beauce, du côté de la mère biologique de Maria. Il n’a malheureusement aucune relation avec ces parties de son héritage, il y a eu beaucoup de décès et une situation d’instabilité qui nous empêche d’aller au Venezuela. Mais elles font néanmoins partie de lui et j’aimerais qu’il sache ce qu’il porte. J’espère qu’un jour il lira La Gringa et que ce récit lui permettra de comprendre l’histoire de sa famille et de s’y ancrer. Car s’il y a bien une chose que ce projet m’a apprise, c’est qu’on cherche toujours à savoir d’où on vient.