Notre entretien
avec l’autrice
Tête boule disco est une plongée dans l’intériorité d’un personnage qui a une couleur particulière. On y découvre toutes les nuances d’un cerveau différent qui tente de faire sens de l’insurmontable décalage entre sa manière d’appréhender le monde et ce qu’on attend de lui. A-t-il été difficile de traduire ces nuances en mots?
La poésie, c’est tenter de rendre en mots toutes les nuances possibles de ce qui hante nos têtes et nos cœurs. Pour ce recueil en particulier, il faut savoir que j’ai moi-même un cerveau différent : je vis entre autres avec un trouble anxieux. Je n’ai pas cherché à creuser davantage, en tant que femme adulte, mais je suis certaine d’être hypersensible. Je pourrais probablement porter une autre étiquette… Peut-être qu’un jour, je ferai les tests, mais pour le moment, je n’éprouve pas le besoin d’en savoir plus. Ce ressenti d’être différente, j’ai pu y puiser pour rendre en poésie l’intériorité de mon personnage. Cependant, j’ai eu besoin d’aide très précise et précieuse pour que ces nuances soient le plus justement rendues, qu’elles collent véritablement au vécu actuel de jeunes qui ont un cerveau différent. Et mon neveu doublement exceptionnel, Isaac LeBel, qui a été mon conseiller neuromythique (ce mot vient de lui) tout au long de l’écriture de ce livre, m’a aidée en discutant avec moi et en relisant chaque poème. Il s’est assuré que ça pouvait représenter non seulement son vécu, mais aussi celui d’autres jeunes à la fois différents de lui et différents de ce que la société perçoit comme normal. J’ai également bénéficié de l’appui essentiel de Clémentine Rozencwajg et de sa mère, Marie-Michèle Patry Gobeil, ainsi que de Maël Reinhardt et de sa mère Annick Daigneault qui, en plus, a été ma lectrice sensible. Toutes les discussions avec ces personnes m’ont aidée à mieux rendre ce qui habitait mon personnage.
Le spectre d’un diagnostic plane tout au long du recueil. Celui-ci est tantôt redouté, tantôt vu comme un soulagement. Mais comme autrice, vous avez choisi de ne jamais accoler un terme précis à votre personnage. Pourquoi était-il important pour vous de parler de neurodiversité sans nommer, sans définir?
Je voulais que toute personne avec un cerveau qui fonctionne différemment de ce que le DSM-5 et nos sociétés considèrent comme la normalité puisse se reconnaître au moins en partie dans le livre. De même, lae personnage et ses personnes de confiance, sauf les parents et les personnes qui en prennent soin (donc des femmes en général) ne sont pas genrés. Et c’est voulu. Il existe énormément de textes scientifiques et de récits de personnes neuroatypiques qui affirment que la neurodiversité cohabite souvent avec d’autres différences, comme la diversité ou la fluidité de genre. Pour moi, lae personnage du livre devait parler au plus de jeunes possibles. C’est aussi simple que ça! Également, je voulais éviter de ne parler, par exemple, que d’hypersensibilité, que de douance, que d’autisme ou que d’autisme avec certains besoins d’adaptation. Plusieurs personnes neurodiverses reçoivent plus d’un diagnostic à la fois. De plus, la neurodiversité est aussi riche que les individus qui la portent et la composent. Pourquoi se limiter, dans un recueil qui en parle? Il me semble que ça aurait nui au propos. Surtout, je ne voulais pas que ce livre ou moi soyons enfermés dans une espèce de rôle de « plaidoyer pour un meilleur appui à X type de neurodiversité ». Le but de ce livre est justement de mettre en lumière le fait que la neurodiversité peut être une richesse. Pourquoi nommer et restreindre quelque chose qu’on veut, en un sens, libérer?
Pourquoi nommer et restreindre quelque chose qu’on veut, en un sens, libérer?
Extrait de l’entretien
Vos œuvres précédentes étaient intimement liées à la nature, au territoire, à la nordicité. Avec Tête boule disco, vous allez ailleurs. Ces nouveaux horizons se sont-ils manifestés naturellement? Qu’est-ce qui a motivé l’envie d’explorer d’autres zones par la poésie?
Au-delà du territoire physique, bien sûr ancré dans la nature et le Nord, là d’où je viens, mes œuvres précédentes, et celle sur laquelle je travaille en ce moment, ont surtout un grand lien avec le territoire de l’intime. Je m’intéresse profondément à ce que chaque personne porte en elle et à la façon dont cette histoire personnelle influence sa manière d’habiter sa vie et son territoire physique.
Pour moi, Tête boule disco, c’est une incursion dans le territoire intérieur de ces jeunes qui ont un fonctionnement cognitif, mental, social, émotif et langagier différent de ce que la société a étiqueté comme « normal », mais tout aussi sinon plus riche. Je dirais que ce qui est le plus différent avec cette œuvre, c’est qu’elle va résolument dans le domaine de la fiction alors que ce n’est pas le cas pour mes autres recueils en poésie. Il m’a fallu construire un·e personnage dans ma tête pour représenter ce que je voulais amener dans ce livre, tandis qu’avec mes livres précédents, les personnages étaient moi (dans le premier) et toutes les personnes rencontrées en Basse-Côte-Nord (dans le deuxième). Lae protagoniste de Tête boule disco est inspiré·e de plusieurs personnes réelles et a sa propre personnalité. C’était vraiment différent, pour moi, cet aspect de l’œuvre relevant de la création presque romanesque.
Avec ce livre, surtout, ce que j’avais envie d’explorer, c’était l’écriture sans ponctuation, comme d’une seule respiration, comme les pensées qui peuvent nous envahir, en permettant aussi les répétitions. Je voulais vraiment laisser ce souffle habiter mon écriture.
Il s’agit aussi de votre première œuvre pour la jeunesse. Que signifie pour vous ce nouveau territoire en littérature? Comment l’avez-vous appréhendé?
Il s’agit pour moi d’une très grande chance qu’on me donne d’échanger avec un lectorat différent. Un de mes objectifs dans la vie est de démocratiser la poésie. C’est la raison pour laquelle je donne des ateliers auprès de différents publics depuis douze ans, c’est la raison pour laquelle je suis impliquée dans des initiatives qui mènent la poésie là où elle n’est pas toujours attendue. Je crois que tout le monde a besoin de la poésie, a une histoire à raconter et a les ressources en soi pour le faire, si on lui donne les outils.
Souvent, la poésie est vue comme une forme de littérature difficile à comprendre, alors qu’il s’agit surtout d’une chose qu’il faut ressentir.
Écrire Tête boule disco, le savoir dans les mains d’adolescent·es, c’est un immense cadeau pour moi. C’est un moyen de stimuler la créativité de personnes en plein développement, c’est une voie pour dire à ces jeunes qu’iels peuvent être vu·es, c’est une manière de sensibiliser les personnes qui feront le futur à l’importance de la neurodiversité, c’est une façon d’influencer les poètes de demain. J’espère simplement en être digne. Être digne de l’ouverture, de la perspicacité, de la sensibilité et de l’imagination des adolescent·es qui me liront.
Je n’aurais pas pu faire ça seule. Je me suis fait aider pour l’écrire par des spécialistes de leur propre vécu, par des jeunes qui vivent la neurodiversité. Je les ai nommé·es plus haut et je les remercie encore ici. Et je remercie Catherine, mon éditrice, pour son regard juste.
Livre publié dans la collection « Brise-glace ».