Notre entretien
avec l’auteur
Le Premier Fasciste est un récit en deux temps, se déployant à la fois dans l’Italie du siècle dernier, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, et dans le Québec contemporain. Que vous a permis le fait de mettre ces deux époques côte à côte?
Je me suis efforcé de mettre en parallèle les discours et les actes des premiers fascistes italiens sous la houppe de Benito Mussolini avec ceux des représentants de l’extrême droite actuelle. Dès 2016, dans la rhétorique, les énormités, le narcissisme et même la gestuelle de Donald Trump, il était facile reconnaître les travers de Mussolini (le fameux « Duce » comme on l’appelait). Les pitreries de Trump semblaient drôles, au début, vaguement clownesques et enfantines, mais la suite a montré que Trump n’était que le bouton émergeant d’une colossale infection à la grandeur de la société occidentale. La montée fulgurante de l’extrême droite en Europe le confirme, de même que la présence de plus en plus visible de groupes suprémacistes, racistes et misogynes au Canada et au Québec qui polluent les réseaux sociaux. Les discours désinhibés et assumés des associations néonazies et néofascistes effraient par les rapprochements qu’on peut faire avec les mouvements radicaux antisystèmes et xénophobes qui ont mené à la Deuxième Guerre mondiale.
Mes lecteurs adolescents et jeunes adultes ne s’intéressent guère à l’histoire, ne la connaissent pas et courent le risque de se laisser prendre au piège du populisme bébête. En leur narrant à l’intérieur d’une fiction l’essor – et le déclin – de Mussolini, de même que l’endoctrinement des militants fascistes, j’espère ainsi convaincre les adolescents de ne pas se laisser séduire par les discours qui, aujourd’hui, comme un écho ahurissant, rappellent ceux qui ont accompagné la montée des idéaux fascistes en Italie et en Allemagne, entre les deux guerres mondiales.
Mesuriez-vous dès le départ l’ampleur du défi qui vous attendait? Qu’est-ce qui vous a paru le plus difficile, en cours d’écriture?
Je m’attendais au départ à simplement raconter la vie de Mussolini et laisser le lecteur faire par lui-même les rapprochements qui s’imposent avec la politique actuelle. Mais je m’en suis vite rendu compte : pour parvenir à ce résultat chez un lectorat qui s’intéresse peu à l’histoire, fût-elle moderne, je devais le rejoindre là où il se trouvait, c’est-à-dire au Québec en 2024. D’où la création d’un personnage adolescent contemporain et québécois, Édouard, séduit par le populisme des mouvements de droite, habité de sentiments anti-immigration, antiféministes, etc., et reconnu coupable d’un acte haineux. Sous la supervision du protagoniste de son beau-père, Lorenzo, un humoriste vedette au Québec et petit-fils d’immigrants italien, Édouard doit apprendre à identifier le mal sous-jacent qui se cache dans les politiques de l’extrême droite et, surtout, comprendre à quelles horreurs elles peuvent conduire.
C’est ainsi que, d’un simple roman biographique, mon récit s’est transformé en deux théâtres parallèles entre lesquels je devais tisser des liens. La charge de travail était énorme et j’ai failli laisser tomber. Mais une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec m’a permis de mener le projet à son terme.
Mes lecteurs adolescents et jeunes adultes ne s’intéressent guère à l’histoire, ne la connaissent pas et courent le risque de se laisser prendre au piège du populisme bébête.
Extrait de l’entretien
Croyez-vous que les adolescents qui liront votre roman auront la même lecture que vous des événements, qu’ils y verront les mêmes échos préoccupants?
Je l’espère de tout cœur, sinon, cela signifiera que j’ai raté le coche. Évidemment, je n’oublie jamais que l’ambition d’un roman, d’abord et avant tout, est de divertir, d’amuser, d’amener mon lecteur à passer un bon moment en compagnie de personnages qu’il aimerait avoir comme amis. Toutefois, je me sers du privilège qui m’est offert de m’adresser aux jeunes par l’entremise de la fiction pour les informer des sujets majeurs qui touchent notre époque. Au même titre qu’un enseignant, j’aspire à les éveiller à notre monde et à les faire grandir. Je nourris ainsi l’espoir d’en faire de meilleurs adultes, de les encourager à créer une meilleure société, un meilleur Québec. Ça me paraît toujours prétentieux d’affirmer les choses de cette façon, mais je le fais en toute humilité. C’est ma pierre posée à l’édifice de notre avenir collectif.
Si, comme vous le suggérez dans le roman, l’Histoire ne se répète jamais tout à fait, « mais elle rime », est-ce dire que nous n’apprenons somme toute que bien peu des erreurs du passé? Qu’il est vain d’espérer ne pas les reproduire?
Cette citation, attribuée (peut-être faussement) à Mark Twain, me paraît plus effrayante que l’énoncé affirmant que l’Histoire se répète. Cela signifierait que le schéma des événements ne se reproduit jamais de la même façon, que nous devons être encore plus vigilants pour identifier les prémisses d’une guerre mondiale, par exemple, parce que l’issue, quant à elle, demeure inchangée : un conflit global et tragique.
C’est réellement effrayant de constater les choses sous cet angle. Heureusement, il reste la littérature pour nous éclairer et nous guider.
Livre publié dans la collection « Boréal Inter ».