Jean-Simon DesRochersLe Masque miroir

« Qui dissimule révèle toujours, et qui révèle dissimule en retour. »

Notre entretien
avec l’auteur

Rémi Roche, le protagoniste de ce roman, vous ressemble beaucoup. Il a même écrit des livres qui sont en tout point semblables aux vôtres. Pouvez-vous nous parler de lui?

Je n’irais pas jusqu’à affirmer qu’il me « ressemble beaucoup ». Rémi Roche ressemble surtout à l’idée que d’autres personnes pourraient avoir de moi tout en étant une extrapolation de ce que je serais devenu si ma vie avait pris d’autres directions. Par moments, Rémi Roche est proche de ce que j’ai été parce que certains de mes propres souvenirs ont été réinterprétés pour créer des fragments de son passé (ici, le mot-clé demeure le verbe réinterprétrer, j’insiste). Sur nombre d’autres aspects, Remi Roche est à l’opposé de ce que je suis. La manière d’être et d’agir de Rémi Roche est, à plusieurs égards, fort différente de la mienne.

Est-ce Rémi Roche qui a vampirisé votre vie? Ou est-ce vous qui vous êtes approprié la sienne?

Ni l’un ni l’autre. Rémi Roche est un dispositif littéraire qui m’a permis de me livrer à des expériences fécondes sur les problèmes du réel et sur l’utopie de l’authenticité en littérature.

Dans mon corpus romanesque, la particularité de Rémi Roche, outre le fait qu’il serait lui-même l’auteur de ces fictions, est qu’il se narre lui-même. Cette première pourrait donner à croire que Rémi Roche, comme narrateur, est plus sincère ou plus ancré dans le réel que mes autres personnages. Toutefois, tous mes livres de poésie utilisent le je qui, pour reprendre Rimbaud, est toujours un autre.

Dans Le Masque miroir, je voulais rassembler certaines de mes obsessions romanesques et poétiques dans un même élan d’écriture. Rémi Roche s’est avéré être la solution pour arriver à cette fin. Et pour répondre de manière plus complète à la question, le personnage qui me ressemble le plus, dans Le Masque miroir, apparaît à la toute fin du roman. Et encore, ce personnage n’est jamais plus qu’un personnage, lui non plus. Il est d’ailleurs le protagoniste du roman que j’écris en ce moment.


 

Plutôt que de rédiger le mot à déposer dans la bouche d’un golem pour lui donner vie, je préfère cacher une part de moi au cœur de chaque personnage.

Extrait de l’entretien


 

Vous avez intitulé votre roman Le Masque miroir. Est-ce à dire qu’il sert à dissimuler un visage ou à le révéler?

Qui dissimule révèle toujours, et qui révèle dissimule en retour.

Avec Rémi Roche, comme avec les nombreux autres personnages principaux de mon corpus romanesque, je dissimule une petite part de ce que je perçois de moi-même sous de multiples couches de discours afin de proposer des présences distinctes et incarnées. Plutôt que de rédiger le mot à déposer dans la bouche d’un golem pour lui donner vie, je préfère cacher une part de moi au cœur de chaque personnage. Le modèle est plus proche des poupées russes que de celui du golem et, dans ce cas précis, la poupée visible est un miroir. Pour moi, le masque miroir, c’est Rémi Roche. Il est celui qui dissimule presque tout en ramenant l’observateur à sa réalité de lecteur.

Vous entretenez manifestement un rapport étroit et durable avec les personnages auxquels vous avez donné vie. Qu’est-ce qui s’est passé au Galant, la conciergerie où vivaient les personnages de votre premier roman, La Canicule des pauvres, qui fait que ceux-ci vous habitent encore au point de réapparaître dans Les Limbes puis dans ce nouveau roman?

Le Masque miroir est mon septième roman en quinze ans. Dans ces projets, j’ai créé plus de cent cinquante personnages principaux, de quoi peupler un petit village. De La Canicule des pauvres au Masque miroir, chacun de mes romans a vu des personnages circuler d’un livre à l’autre, soit de manière frontale, soit avec subtilité. La Canicule des pauvres elle-même donnait des rôles à des personnages apparus dans mes premières nouvelles publiées. Le but était d’ajouter une profondeur à ces présences fictives et d’offrir des pistes d’interprétation complémentaires aux lecteurs voulant faire des recoupements. Toutefois, j’ai toujours veillé à ce que chaque roman soit autonome.

Le Masque miroir marque une certaine cassure dans ce corpus romanesque où tout peut être lié : il avance que cet univers est le fruit d’un imaginaire, celui de Rémi Roche, qui en vient lui-même à s’interroger sur sa notion de réalité. Je dirais qu’en ouvrant ce type de piste d’interprétation, Le Masque miroir pose un regard prospectif sur ma pratique de la fiction. Reste à voir quelles avenues m’apparaîtront les plus riches dans les romans et les textes à venir.