Jean-Simon DesRochersPoèmes

Les quatre premiers recueils dun des poètes québécois les plus importants de sa génération.

Extrait de l’œuvre

Extrait tiré du recueil Les Animaux ventriloques (2019)

1. Dévier

ce sera beau l’image pendue à ma gorge, mon pain, cette
raison de te voir nue derrière la fenêtre.
je marcherai pâle et secret quand ma fumée gèlera dans un
poème, je me cacherai là où se caressent nos pupilles
magnétiques, j’échangerai mes enfants contre une phrase
neuve.
nul n’ouvrira la main sans y trouver des huiles (ma trace est
écrite, plus loin).
si autrefois le texte se voulait sexe, je te prendrai par la bouche
pour ne jamais finir.
le choeur d’en haut se prononcera: ceci est violent, ceci
n’existe pas.
le choeur d’en bas, fidèle et peuplé, se contentera d’un rire.
sur scène nous graverons lions et listes: la rumeur avance que
la mort se remonte, un crâne, une clé.
il est déjà temps de se regarder sévères, nous habitons le même
corps,
tu confirmeras mes délires: «tu es une dette devenue personnage,
la parole mène de grandes expéditions à travers ta
poitrine.»
tu insisteras: «lance tes aigles dans les réacteurs, personne ne
volera après cette histoire.»

par-delà l’alchimie cancéreuse jetant son or sur les voitures,
nous banderons les arcs qui entraînent les empires sous
leurs écailles – à chaque serpent son orage, à chaque pluie
son bocal.
cela ne sera que drame sur la piste d’un cirque, une asphyxie,
un tombeau pour faire l’amour;
les nouveaux morts n’ont pas droit à la science exacte.
comme on grimpait aux arbres,
les arbres se sont penchés.
comme je touchais mes lèvres,
tu as déplacé le lac.
notre défaite annonce la culture, sa peau, l’écologie brutale
que j’espère.
parce que tu m’invites à la lisière de ta robe (qui formerait le
centre de l’univers),
je jauge la terreur, sa justesse, mes dieux dans ta chevelure.

l’océan catabatique vers lequel foncent les jeunes comètes et
mes récents cauchemars, je l’amènerai à toi.
ce spectacle gonflera (nous captons des palpitations de
ballons-sondes surplombant les volontaires mal rasés – tu
les entends marmonner, ils jurent ne pas avoir entendu le
piège se refermer).
nous serons artificiels, animés d’une légende: celle des mains
réfugiées dans la mienne.

les bêtes porteront un homme par sa perruque rituelle: cette
ville aux cathédrales, minarets et antennes pointant l’instruction
du vide reviendra au silence,
avec une volupté rauque (mélancolie éteinte, effluves infects),
les choeurs deviendront juges et parasites posés sur les
sexes des juges.
les peuples résumés à leurs rangées de dents détruiront l’exhibition
stratégique:
nous saurons les embrasser, les inciter à quitter leur corps, à
jeter les paumes tachées d’argile (ce sera enfin possible).

du ventre au cou, une dentelle recouvre mes chardons (je suis
triste, n’en parlons pas).

débattons du sort des équipages:
une rançon pour nos équilibristes;
un cheval en flammes contre un alibi;
un trousseau de doigts dans les poches (nous l’utiliserons
au moment opportun).

tu diras que nous sommes les héritiers d’une caste décimée un
soir de transe (ma tristesse demeure ferreuse).

nous fixerons des quartz à nos épaules jusqu’à devenir falaises,
nous l’aurons appris: mieux vaut cacher son enfance dans la
montagne creuse du langage.
(ma tristesse te désire, as-tu enfin compris?)

tu me trouveras étendu sans larmes au milieu d’une forêt
albinos – tu te souviens, tu me gardais entre tes seins,
racontant que la lune n’est plus ta soeur.


Livre publié dans la collection « Boréal compact ».