Antoine Boisclair, Thomas Mainguy et Jean-François BourgeaultAu bout du chemin

Une suite de lettres d’adieu afin de perpétuer la mémoire de l’œuvre incomparable de Jacques Brault.

Extrait de l’œuvre

Avant-propos

Si l’on descendait dans la rue avec un micro pour interroger les passants au sujet de Jacques Brault, il y a fort à parier qu’on ne récolterait pas beaucoup d’informations. Cet écrivain admiré dans le milieu littéraire québécois, reconnu comme un poète et un essayiste de premier plan, s’est accommodé du fait d’être lui-même un passant, égaré à ses heures, léger quand son coeur et ses semelles le lui permettaient, tenant à bonne distance les trompettes de la renommée.

On peut tout de même ébaucher son signalement pour le situer un peu. C’est un enfant qui rencontre la poésie en ouvrant une grammaire où sont inscrits deux vers de Verlaine. Il grandit au sein d’une famille ouvrière, sillonne la rue Saint-Denis et joue dans les ruelles de La Petite-Patrie. En 1943, alors qu’il a dix ans, son frère aîné, Gilles, tombe au combat en Sicile. De cette perte naîtra l’un de ses premiers grands poèmes, «Suite fraternelle». Ses études le mènent à Paris et, quand il revient au Québec, il enseigne la philosophie et la littérature à l’Université de Montréal jusqu’en 1997.

Au cours des années 1970, ses efforts permettent à son ami Gaston Miron de publier L’Homme rapaillé, il collabore activement à la revue Liberté et publie au fil des décennies qui suivent des recueils de poésie et d’essais qui font de lui un écrivain accompli. Malgré les récompenses qu’il reçoit, il se définit comme un artisan dont la curiosité ne cesse de nourrir les tâtonnements. Parallèlement à l’écriture, il dessine, peint, sculpte pour répondre manuellement à son sens de la forme. Le 19 octobre 2022, il rentre au «pays hors du temps» (L’Artisan) à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. C’est bien peu pour résumer une vie, mais c’est peut-être déjà trop pour l’homme discret qu’il était.

Chose certaine, c’est vers son œuvre qu’il faut se tourner pour aller véritablement à sa rencontre. On sait que le silence et l’humilité y prennent une tournure parfois radicale qui s’approche de l’anéantissement, mais ils sont aussi les signes d’une hospitalité. Car, oui, on se sent accueilli lorsqu’on entre dans les livres de Jacques Brault. Accueilli par une présence. Chez lui, l’intimisme permet l’exploration de la vie intérieure aussi bien que la communion avec le lecteur, son semblable, – son frère. On peut d’ailleurs lire ses poèmes et ses essais comme autant de lettres, forme par excellence de la parole muette qui installe deux êtres dans la réciprocité.


 

Car, oui, on se sent accueilli lorsqu’on entre dans les livres de Jacques Brault. Accueilli par une présence.

Extrait de l’œuvre


 

Voilà pourquoi il semblait naturel, voire nécessaire, de lui écrire une dernière lettre, celle que l’on n’aurait pas écrite s’il n’avait atteint le bout du chemin. Ce grand lecteur de poésie médiévale, sensible à l’errance des troubadours et des trouvères, affectionnait particulièrement la métaphore du «chemin», qu’on rencontre un peu partout dans son oeuvre. Le titre de l’ouvrage que nous avons préparé fait écho à cette image insistante et permet de représenter le parcours de l’écrivain comme un long processus, comme un cheminement qui a malheureusement pris fin en 2022.

Là où désormais il se trouve, Jacques Brault ne surveille sans doute plus la venue du facteur. C’est pourquoi, quand il recevra les dix-neuf lettres contenues dans ce livre, il pourra se murmurer à lui-même: «Est-ce que je vis encore?» (Au fond du jardin)


Avec des textes de Gilles Archambault, Isabelle Arseneau, Paul Bélanger, Michel Biron, Jean-François Bourgeault, Antoine Boisclair, Denise Brassard, Emmanuelle Brault, François Dumont, Louise Dupré, Vincent Lambert, Yves Laroche, Thomas Mainguy, André Major, Robert Melançon, Catherine Morency, Pierre Nepveu, Sarah-Louise Pelletier-Morin et Nathalie Watteyne.