Marie LabergeDix jours

Le journal d’une femme qui contemple la vie à l’orée de la mort.

Notre entretien
avec l’autrice

Ce roman est le journal que tient, pendant les dix jours qui précédent l’échéance, une femme qui a choisi l’aide médicale à mourir. Pourtant, le cancer qui va l’emporter lui épargnera, selon ses médecins, de trop souffrir physiquement. Pourquoi alors a-t-elle eu recours à ce choix?

Il y a je crois deux façons de considérer cette liberté de choisir le moment de sa mort. L’une quand on va bien (donc de façon un peu théorique) et l’autre de façon très directe, quand la menace se met à rôder près de soi, quand le danger a pris un nom de maladie. Or, cette liberté, quelle que soit la façon dont on l’envisage quand on est bien portant, elle est soudain investie d’une réalité qui prend toute sa force et sa charge émotive parce qu’elle est définitive. Et puis, qu’est-ce que la souffrance, comment peut-on la mesurer et estimer notre capacité à l’endurer? La souffrance morale, la déréliction, c’est pour certains beaucoup plus insupportable à envisager que le mal physique.

On retrouve souvent sous sa plume le mot dignité, et pas uniquement dans le contexte de la maladie et de la diminution qu’elle provoque immanquablement. Qu’est-ce que la dignité aux yeux de cette femme? Pourquoi est-ce une valeur si importante pour elle?

Je crois qu’elle tente de faire la part des choses entre l’idée qu’on se fait de la dignité et la vanité humaine. Il y a aussi cette désinvolture avec laquelle elle a traité sa mère alors que celle-ci était mourante, croyant tout savoir d’elle alors qu’elle se fermait pour ne pas considérer la réalité de sa fin. Pour ne pas la subir. Ce qu’on appelle «dignité» est souvent un jugement ou une estimation de ce que soi-même on supporterait et non pas de ce que l’autre endure. Dans la ferveur et l’élan de la santé et de la jeunesse, on considère tout à la lumière du peu que l’on connaît et du trop peu qu’on est prêt à imaginer. Dans ce qu’elle écrit, cette femme a l’honnêteté de reconnaître que la dignité est parfois un concept-abri pour se dégager de ce qui nous terrorise. La dignité d’assumer est bien peu célébrée…


 

Et puis, qu’est-ce que la souffrance, comment peut-on la mesurer et estimer notre capacité à l’endurer?

Extrait de l’entretien


 

Elle se fait la promesse de détruire ce journal le matin de sa mort annoncée, afin que ses filles ne puissent jamais le lire. Pourquoi ne fait-il pas partie des choses qu’elle désire leur léguer? Qu’y a-t-il d’intransmissible dans la réalité qu’elle y décrit?

Ce n’est pas intransmissible du tout, mais c’est son chemin privé de réflexion. Elle y va à fond, sans fard, sans se ménager et ce n’est pas pour la galerie ou la postérité, c’est pour elle, pour savoir ce qu’elle pense franchement, ce qu’elle choisit. Ce qu’elle lègue est déjà donné, à travers les actes de sa vie et les gestes passés. Cette fois, devant l’imminence de sa mort, c’est à elle seule qu’elle s’adresse et la destruction de ces pages lui garantit l’extrême honnêteté avec laquelle elle veut s’aventurer dans cet écrit.

Je dirais que ça ne s’éloigne pas tellement de la liberté totale nécessaire à toute démarche d’écriture.

Nous apprenons, alors qu’elle se remémore son passé, que cette femme a été capable d’accepter la rupture avec son plus grand amour sans en être détruite, et qu’elle a même connu ensuite des moments de grande plénitude. Est-ce une certaine aptitude au renoncement qui lui permet de quitter la vie les yeux grand ouverts?

J’appellerais cela le consentement davantage que le renoncement. Devant l’inévitable on peut se révolter, se braquer ou même se battre, mais le savoir, l’accepter et l’assumer bravement a non seulement plus de panache, mais c’est plus fort. Et ça permet de mieux vivre.

L’amour, l’amitié, les liens familiaux, voilà ce qui la préoccupe surtout pendant ces dix jours où elle contemple la mort en face. Est-il impossible, même quand on est une femme aussi forte, d’échapper à l’emprise des autres dans nos vies?

Je dirais qu’elle contemple la vie en face, pas la mort. La sienne. Avec ses choix et ses erreurs. Dans toute sa vérité, même brutale. Elle n’échappe pas à l’emprise des autres ou de ses sentiments, elle essaie de faire la part des choses et de s’accorder le droit de vivre selon ses désirs, même en tenant compte de sa fin prochaine. Le rappel de la mort est uniquement un appel à vivre, pas de se jeter dans l’abîme avant qu’il ne soit sous nos pieds.