France DaiglePetit crayon pour faire mine

D’un roman l’autre. D’une identité l’autre.

Notre entretien
avec l’autrice

Comme dans vos précédents romans, vous vous mettez ici en scène. Vous racontez comment la décision d’assumer votre transition de genre, c’est-à-dire de passer du féminin au masculin, vous a permis de surmonter un blocage et d’écrire ce roman. L’écriture serait-elle donc foncièrement enracinée dans le genre?

À vrai dire, après Pour sûr (2011), je n’ai pas immédiatement trouvé matière à écrire. Puis, j’ai pensé au tableau des éléments de Mendeleïev, qui m’a semblé un point de départ intéressant. Or, tout le brouhaha autour du 150e anniversaire du tableau, en 2019, m’a un peu refroidie. Je ne voulais pas m’aligner dans ce contexte alors j’ai mis de côté mon manuscrit, qui, d’ailleurs, prenait beaucoup de directions différentes. Puisque je ne voyais pas encore clairement le propos, je me suis occupée à mille et une autres choses, et c’est dans ce « mille et une autres choses » qu’a surgi la question de la transidentité. Il ne s’agissait pas d’une réalité nouvelle pour moi, mais ma façon de l’envisager se transforma. Si j’ai déjà figuré dans mes livres comme un personnage parmi d’autres, je ne me suis jamais autant mise de l’avant que dans ce livre-ci. Je pense que l’écriture est fondamentalement enracinée dans le genre humain, point à la ligne.

Est-ce que le caractère « genré » de la langue elle-même est un obstacle aux personnes trans qui veulent écrire?

La grammaire genrée m’a tapé sur les nerfs dès mon premier livre, Sans jamais parler du vent. Je me demande s’il y a vraiment une solution à ce qui est pour moi un problème. En français, il est impossible d’avoir une approche neutre ou non genrée. J’ai essayé d’écrire Petit crayon pour faire mine sans que l’on connaisse véritablement le genre de la personne qui écrit. Cela ne donne pas un gros livre…


 

Je pense que ’écriture est fondamentalement enracinée dans le genre humain, point à la ligne.

Extrait de l’entretien


 

Dans Pour sûr, vous hésitiez entre deux langues, le chiac et le français. Dans Petit crayon pour faire mine, on a l’impression que vous hésitez entre une identité féminine et une identité masculine. Faut-il voir un lien entre ces deux formes d’hésitation?

L’hésitation dans Petit crayon pour faire mine est la même que dans Pour sûr. Pour toutes sortes de raisons, nous sommes plus ou moins obligés, dans la vie concrète, de nous en tenir à une définition simple de nous-mêmes. Par exemple, je serais une femme, acadienne francophone, écrivaine. Mais dans mon esprit, les nuances sont innombrables. J’ai essayé, dans Petit crayon pour faire mine, d’illustrer la multiplicité de l’être, de lui donner ses aises. Le langage radicalise le vécu, oblige à une sorte de conformisme, tandis que l’esprit nous donne les moyens de nous en libérer. J’ose croire que tous mes livres expriment cela.

 

Dans vos précédents roman, le moteur de l’écriture était une contrainte formelle que vous vous donniez. Dans Petit crayon pour faire mine, vous évoquez plutôt le rôle d’une « muse », d’une femme qui vous aurait inspirée. Cela marque-t-il un changement dans votre rapport à la création?

L’écriture par elle-même est contrainte, tout comme le langage est contrainte. Moi, j’ai besoin d’une sorte de cadre pour écrire, et bien souvent ce cadre apparaît assez clairement dans mes livres. Il est aussi présent dans Petit crayon pour faire mine, mais moins appuyé. L’apparition de la muse correspond à un déclencheur plutôt excitant, mais c’est le personnage de B. qui fait la preuve de l’univers ouvert que je préconise. B. est la seule vraie héroïne de ce livre. Je ne connais pas de méthode pour écrire un livre.

 

Pour sûr était construit à partir du chiffre 12. Ce nouveau roman paraît exactement douze ans plus tard. Cela fait-il partie d’un plan?

Avec Petit crayon pour faire mine, je dirais que je suis passée du chiffre 12 au chiffre 5. Si je me fie aux quelques pages que j’écris présentement, le 5 semble avoir encore un peu d’avenir.