Extrait
Dans l’optique indépendantiste, la situation du Canada, dans l’empire français, se trouve non pas idéalisée mais revalorisée. C’est la seule époque de son histoire où le séparatisme s’enracine dans la réalité. Pendant plus de cent ans, les Canadiens d’origine française vivent seuls dans un État séparé. Ils défendent ce séparatisme par les armes mêmes, sans dévier vers quelque doctrine fédéraliste, sans chercher à devenir une minorité dans un grand tout dominé par une nation étrangère. Aussi longtemps que le Canada français demeure seul, aussi longtemps que la cause de sa naissance et de son épanouissement comme peuple, la métropole française, se tient derrière lui pour le protéger militairement, pour le coloniser avec ses hommes, ses institutions, ses capitaux métropolitains, il est apte à devenir une nation normale.
Quand ce Canada sentira sa faiblesse et se rendra compte du déséquilibre entre les forces anglaises et françaises en Amérique, il ne se tournera pas vers une alliance ou une fédération qui serait une annexion avec des colonies britanniques plus fortes, mais il se tournera vers sa mère patrie pour exiger plus de colons, plus de capitaux et une meilleure protection. Ceci ne veut pas dire que le Canada de 1700 ou de 1750 possède déjà tout ce qu’il faut et que, parvenu à son terme dans une aventure coloniale, il est à la veille de devenir une nation moderne complètement équipée. Politiquement, le Canada, comme les autres colonies (anglaises, espagnoles ou portugaises) de l’époque, est encore une province sous la juridiction d’une métropole, mais une métropole naturelle et à distance dont le pouvoir, un jour, cesserait nécessairement si la France réussissait sa colonisation.
Économiquement, les Canadiens sont loin d’avoir développé à fond toutes les ressources de la vallée du Saint-Laurent, comme ils sont loin d’être les maîtres d’une industrie, d’un commerce, d’une finance hautement évolués. Quel pays avait atteint ce stade en 1700 ou en 1750 en Amérique et même en Europe? Ce Canada a donc besoin de capitaux, de colons, de techniques de France ou d’ailleurs pour continuer un développement économique encore embryonnaire. Il peut avoir recours à des capitaux étrangers et même à des immigrants étrangers qu’il assimilera. Mais, aussi longtemps que les Canadiens conservent dans l’empire français leur autonomie coloniale, il y a possibilité de devenir une nation, un État français à côté d’une ou de plusieurs nations anglaises en Amérique du Nord; nation française qui, comme toutes les autres nations du monde, aurait eu ses difficultés, ses problèmes intérieurs, ses luttes de partis, ses luttes de classes et ses conflits avec les nations voisines, mais nation française qui aurait eu l’immense avantage d’être dotée de l’autonomie interne et externe et d’être présente par elle-même au monde.
Livre publié dans la collection « Boréal compact ».
Préface d’Éric Bédard.