Extrait
On découvre huit… non, dix, peut-être onze pièces de tissu aux couleurs et aux textures différentes, roulées et placées pêle-mêle à l’intérieur. Je regarde Nonk. Il fixe le tiroir d’une mine perplexe en se mordillant la lèvre inférieure. C’est Marisol, comme souvent, qui parle la première. Elle demande:
— Il s’agit de plusieurs personnes, vous pensez?
— … dix, onze, douze! finit de compter papa en martelant l’air de son index.
— Probablement, répond mon grand-oncle en s’emparant de l’un des morceaux de tissu et en commençant à le dérouler. La question est maintenant de savoir pourquoi ces sabliers sont rangés tous ensemble. […] Je me demande de qui il s’agit […].
Il semble rêvasser en fixant le sablier qu’il tient juste devant son nez, tout en s’assurant de garder la partie pleine de sable vers le bas pour que les grains ne s’écoulent pas.
— Malheureusement, on ne le saura jamais, puisque ces bouts de chiffon ne sont pas envoûtés, soupire maman de façon exagérée pour marquer encore son incrédulité.
— Je ne connais pas la moitié des noms que je lis sur vos tiroirs, avoue papa en parcourant les plaquettes du regard. On dirait qu’il y en a de tous les coins du monde.
— Bien sûr, réplique Nonk. Les Européens n’ont pas le monopole des explorations.
— Et si on invitait Christophe Colomb ou Jacques Cartier à nous rendre visite? demande maman, toujours avec un ton moqueur. Ces deux noms-là, au moins, ils nous sont familiers.
En affirmant cela, elle étire le bras vers l’Exploratus. Papa et Marisol ont la même pensée à la même seconde, et chacun d’eux avance la main en disant simultanément:
— Et si on choisissait plutôt…
— Et si on faisait venir…
Grenouille, toi qui lis! La main de l’une frappe le bras de l’autre qui heurte un côté du couvercle, provoquant un sursaut du coffret que papa, par réflexe, cherche à retenir d’un geste brusque, mais il accroche le grand tiroir ouvert qui sort de son caisson, glisse sur la table et tombe par terre.
Pet de sauterelle! Par terre!
Tu devrais voir la catastrophe, toi qui lis! Les bouts de tissus volent dans tous les sens, se déploient et libèrent les sabliers. Ceux-ci bondissent sur le prélart, roulent sous les chaises et sous la table, se cognent contre les meubles… Je frissonne à l’idée que le verre des ampoulettes éclate. Qu’est-ce qui arriverait si les grains ensorcelés se répandaient partout?
Après un temps qui me paraît infini, les sabliers terminent leur bousculade sans qu’on les entende se briser. Ouf!
Tous, nous quittons nos chaises pour nous jeter à quatre pattes afin de les récupérer. J’en vois un ici près de la table, un autre là sous la commode, le troisième à deux doigts de mon pied…
— Oh! sapristiche! jure Marisol à côté de moi.
Mon amie a les yeux fixés sur l’îlot de la cuisine. Je regarde à mon tour…
Au pied du comptoir, bien appuyés contre le bois, deux sabliers se sont retrouvés debout!
— Et là! s’exclame Marisol en pointant son index en direction de la porte d’entrée, où un autre sablier est dressé contre la carpette.
— Et là! répète-t-elle en désignant cette fois une ampoulette coincée entre deux chaussures.
Oh! toi qui lis! Je constate avec horreur que tous ces fichus contenants de verre ont eu la mauvaise, la très mauvaise idée de s’immobiliser… les grains de sable en haut!
Les premières étincelles crépitent déjà.
Livre publié dans la collection « Boréal Junior ».