René LévesqueLumières vives

René Lévesque, le critique de cinéma, sous les projecteurs.

Extrait de la préface
de Jean-Pierre Sirois-Trahan

On le sait depuis Diderot et Baudelaire, la critique bien comprise est un art littéraire. Un vrai critique de film est un « écrivain de cinéma » (Truffaut), son activité déborde le seul journalisme. Si on connaissait déjà l’éloquence et le français irréprochable du reporter Lévesque, le charisme oratoire du politicien adulé, jamais mieux qu’ici on ne trouvera cette verve percutante et nerveuse qui fait mouche comme le jab rapide et délié d’un boxeur dansant sur le ring. Charriant pointes mordantes et humour pince-sans-rire, sa phrase se démarque par sa netteté joueuse, sa prosodie syncopée, tout en cassures de rythme (comme ce jazz qu’il adore), avec un mélange détonnant de gouaille populaire et de rigueur classique (qu’on trouve également chez les poètes qu’il préfère: Louise Labé surtout, Rutebeuf, François Villon, Joachim du Bellay, Pierre de Ronsard ou Jean de La Fontaine). De plus, il y a quelque chose de l’art
du monteur dans son écriture et, à l’inverse, il utilise un terme de rhétorique littéraire, le « nombre » (défini comme « agencement harmonieux, rythmique, sans bavure »), pour décrire le montage des films.

 

Cette lecture si bouleversante d’un écrivain pousse à se demander s’il ne s’agit pas d’une vocation empêchée. On sait qu’à sa mère qui souhaitait en faire un avocat, le jeune Lévesque avait annoncé qu’il serait écrivain – il alla même jusqu’à écrire avec Lucien Côté une pièce de théâtre, intitulée Princesse à marier, qu’il mit en scène à dix-huit ans au Palais Montcalm avec, dans le rôle principal, une actrice hollywoodienne d’origine canadienne (Francine Bordeaux) ! Ces chroniques où se reconnaît la patte d’un écrivain ne portent-elles pas en elles la part la plus secrète de Lévesque, à savoir celle d’un politicien qui aurait voulu être un artiste ? Et quelle part ce regret de ne pas avoir suivi sa vocation d’écrivain ou de cinéaste a-t-il jouée dans sa trajectoire politique ? Cette culture artistique fut-elle une boussole dans sa vie publique ou l’a-t-il refoulée ? La mise au jour de ce corpus oublié ouvre un chantier archéologique qui, dans les prochaines années, permettra d’apprécier un autre visage de cet homme aux multiples facettes.

Ces chroniques où se reconnaît la patte d’un écrivain ne portent-elles pas en elles la part la plus secrète de Lévesque, à savoir celle d’un politicien qui aurait voulu être un artiste ?

Extrait de la préface

Il faut lire ces chroniques d’un styliste éblouissant pour recevoir ses lumières vives. Vives, car un écrivain tente de réfracter dans un autre milieu, celui des mots, les éclats qu’il a reçus de l’écran. Vives aussi, car ces propos se sont donné pour tâche de dissiper la grande noirceur dans laquelle le Québec marchait à tâtons. Vives encore, car ces chroniques de cinéma sont les premiers feux d’un homme hors de l’ordinaire, malgré l’obscurité des débuts. Vives enfin, car elles rendent justice aux rayons et aux ombres d’un art industriel, ce cinéma que René Lévesque a tant aimé.


Édition établie et présentée par Jean-Pierre Sirois-Trahan.