Marie-Claire BlaisAugustino ou l’illumination

L’apogée du cycle Soifs, monument de la littérature contemporaine.

Extrait

À l’âge où Jésus parlait en maître aux pédants docteurs dans le Temple, Augustino apprenait qu’il était mortel, mortel comme tout ce qui est mortel, mortel comme la fleur appelée dame de la nuit que lui avait montrée sa grand-mère dans le jardin, cette fleur ne dure qu’une nuit, mortel comme le serait sa grand-mère qu’il avait cru avoir pour toujours, Augustino comprenait que la vie la plus longue était courte, n’était rien, que cette empreinte de la mortalité enlevait même à la vie toute signification.

Et il pensait à la solitude des astronautes guettant la nuit de la fenêtre de leur maison où ils s’étaient isolés, où allaient, se demandaient-ils, les fœtus des bébés inachevés, ne se métamorphosaient-ils pas en espèces animales et végétales, ce que les astronautes étaient eux-mêmes devenus, poissons ou oiseaux, leurs corps végétatifs croissant telles des orchidées dans une grotte sombre mais volante, oui, ils avaient des ailes, des nageoires, des dents de panthère pour mordre dans une nourriture qui leur échappait, aussi volatile qu’une plume. Des vents de bourrasques, qui sait de tournoyants cyclones qui avaient frappé des villes, des villages entiers sur la Terre, martelaient leur air soudain chancelant dans l’espace, les aiguilles à un cadran exposaient dans leur vitesse que soudain les moteurs étaient incontrôlables, puis tout semblait entrer dans une durée stable, c’est que de si loin les ondes se brouillent en se fusionnant, pensait Augustino, un concerto pour violon et orchestre de Mendelssohn était soudain interrompu, ce garçon écoute de la musique même la nuit, se plaignait un compagnon secouriste sous la tente, Augustino pensait qu’ils étaient nombreux à se plaindre de lui, car il parlait peu aux autres, les écoutait surtout, entendait leurs cris de protestation, les voyait qui sortaient de la tente pour prier, une main sur le cœur, plus que le concerto s’effaçant dans l’écho des brouillards, c’est surtout ces cris qu’il entendait, il y avait trop de monde ici, pensait-il, trop d’ambulanciers, de secouristes, quand se lamentait le gourou dehors sur la plage, était-ce une lamentation ou une promesse, oui, un jour, mes amis, croyez-moi, vous la verrez, cette lumière, vous la verrez.