Présentation du texte
par Caroline Montpetit
La formule Bonjour! Kwe! suggère une reconnaissance, voire une invitation. Derrière cette formule pourrait se cacher le début d’un dialogue, ou la reprise d’une conversation qui aurait dû être amorcée il y a des siècles, entre colons européens et Autochtones, lorsqu’un certain Jacques Cartier a mis le pied sur une terre qui allait devenir le Québec.
Sur ce territoire préquébécois, depuis la nuit des temps, c’était la tradition orale qui assurait la survie de la culture des nations autochtones. Une tradition orale que les gouvernements colonisateurs ont tenté de faire disparaître – notamment par le biais des pensionnats – pour prendre le contrôle du territoire.
Des nations autochtones et, dans une certaine mesure, leur culture et leur langue ont cependant survécu. On dit que ce sont dans les communautés les plus isolées, et les plus éloignées des grands centres, que les langues autochtones ont été le mieux préservées. C’est le cas notamment de l’atikamekw, de l’inuktitut, du cri, de l’innu ou du naskapi.
Mais parallèlement, la langue mohawk, à Kahnawake, fait l’objet d’une revitalisation, notamment à travers divers programmes scolaires. L’anishnaabe, ou algonquin, peut désormais se transmettre à l’aide de manuels scolaires, comme plusieurs autres langues autochtones. Dans l’ensemble, les langues autochtones du Québec se portent mieux qu’ailleurs au Canada.
En entamant cette série d’entretiens sur les langues autochtones pour Le Devoir, en 2017, j’avais, et j’ai encore, des ambitions modestes. Comme journaliste, je voulais offrir une première incursion dans un monde d’une complexité immense, et aux ramifications infinies, dont je ne suis pas l’ombre d’une spécialiste. J’avais l’impression qu’un premier contact s’imposait, entre le lecteur québécois et cet univers autochtone méconnu, que l’on côtoie pourtant depuis des siècles, sans le voir.
Issues d’un contexte préquébécois, les langues autochtones n’ont que faire de nos frontières actuelles. Il n’y avait sans doute qu’une Eurodescendante comme moi, sans filiation autochtone connue, pour situer ces langues et leurs locuteurs strictement dans les frontières québécoises.
Ces langues ont décrit un monde qui, dans une large mesure, a de nos jours disparu. Elles ont dit, et plusieurs locuteurs en témoignent, la vie des ancêtres, la forêt et, surtout, le territoire.
J’avais l’impression qu’un premier contact s’imposait, entre le lecteur québécois et cet univers autochtone méconnu, que l’on côtoie pourtant depuis des siècles, sans le voir.
Ce monde préquébécois, donc, nous ne le connaissons pas, ou si peu. Il en aurait pourtant sans doute long à nous apprendre, notamment en matière d’environnement et de préservation de la nature. Récemment, Evelyne St-Onge, aînée innue de Uashat Mak Mani-Utenam, me disait qu’elle réapprenait les contes de la tradition innue, elle qui a fréquenté jeune le pensionnat. Elle y trouve des références à une histoire du monde extrêmement lointaine, les grandes glaciations, l’ère des dinosaures. Début novembre, au musée McCord, l’aîné innu Charles-Api Bellefleur dira ces contes en innu, traduit par la poétesse Joséphine Bacon.
On peut regretter – très tard, il faut l’admettre – de ne pas avoir entendu, écouté ou compris les leçons d’un mode de vie ancestral autochtone, très proche de la nature et, dans la mesure du possible, en harmonie avec elle. Dans cette optique, la survivance de ces langues, si ténue soit-elle parfois, clignote comme une ultime occasion de comprendre l’autre, celui qui a habité ces terres avant nous et qui en connaissait sans doute certains secrets aujourd’hui enfouis dans une mémoire oubliée. Pour moi, comme pour la très grande majorité d’entre nous, y compris de très nombreux Autochtones, cette mémoire demeure inaccessible, à défaut d’avoir été conservée, valorisée, transmise.
Aujourd’hui, cependant, le gouvernement du Québec, comme celui du Canada, doit favoriser la transmission et l’évolution de ces langues autochtones ancestrales. En 2019, finalement, direz-vous, une loi a été adoptée à Ottawa. Cette loi se donne pour mission de favoriser et de revitaliser les langues autochtones par l’intermédiaire d’un financement à long terme. Elle prévoit la création du Bureau du commissaire aux langues autochtones, qui devra soutenir l’apprentissage et la diffusion des langues autochtones par tous les moyens possibles, en plus de fournir des services de règlement des différends culturellement appropriés et d’examiner les plaintes.
À la toute fin de la plus récente campagne électorale, le premier ministre du Québec, François Legault, a promis qu’il adopterait à son tour une loi sur les langues autochtones comparable à la loi 101. Reste à voir ce qu’il fera de cette promesse. S’il compte le faire, il faudra qu’il agisse vite, pour que ces langues continuent d’être parlées à la maison, entre générations, dans les cuisines. Attendre de les faire revivre est risqué.
Pour survivre, dans un contexte ardu de mondialisation, les générations de jeunes qui les apprennent doivent en percevoir la pertinence. Une meilleure connaissance de ce trésor invisible parmi la population du Québec ne peut que contribuer à les en convaincre.