Frère Marie-Victorin et Marcelle GauvreauLettres sur la sexualité humaine

Une étonnante aventure humaine et scientifique.

Extrait de l’œuvre

Lettre de Marcelle Gauvreau

Samedi 9 janvier 1937

Cher papa Victorin,

Vous êtes loin, ce soir, physiquement loin puisque vous voilà à Chicago, mais vous êtes bien près de ma pensée. Et c’est pourquoi je vais au moins commencer à vous écrire une de ces longues lettres que nous appelons « biologiques », mais qui se terminent rarement sans qu’un paragraphe plus sentimental s’ajoute. C’est heureux, en vérité, car je vis toujours de votre dernier paragraphe, qui décuple mon énergie!

À force d’étudier la physiologie humaine et de la discuter avec vous, mon cher Ami, je finirai peut-être par découvrir que je suis une petite femme très normale. N’y a-t-il pas jusqu’à mes « périodes » que vous m’obligez à noter! La dernière indisposition dont je vous avais parlé s’était terminée le 21 novembre. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que les menstruations suivantes arrivèrent le 19 décembre, c’est-à-dire exactement vingt-huit jours après! Je ne vous ai point averti du malaise, non tout à fait par désobéissance, mais parce que j’ai cru que vous aviez deviné. Vous m’avez dit plusieurs fois, pendant ce temps, que j’étais rouge et que vous ne supposiez pas que cela était artificiel!

En effet, j’étais très fiévreuse, et même un jour avant les règles dont j’ignorais la venue, vous m’avez fait prendre ma température dans votre bureau. Je n’avais pas de fièvre, cependant, mais j’avais les joues bouillantes et les yeux brillants. Je fus donc surprise par la saignée, à laquelle je ne croyais pas malgré les signes précurseurs, à cause de ces vingt-huit jours francs. Mais après une journée de perte de sang plutôt bénigne, je restai une couple de jours sans menstrues et à peu près sans malaises, gardant toutefois la précaution de mettre des kotex. À partir du 22 dans la soirée, je commençai ou continuai à être indisposée normalement, pour finir dans la journée du 27. Je devrais me trouver malade de nouveau vers le 24 janvier.

Vous semblez fort goûter les souvenirs que je vous raconte à l’occasion, en traitant des problèmes sexuels féminins. Vous êtes bien aimable! Je pense en vérité qu’il ne faut rien rejeter comme inutile, de votre côté comme du mien. Autant la note trop personnelle peut être désagréable quand elle touche un sujet où la prétention intervient, autant elle peut se nuancer d’intérêt dans une autobiographie toute simple ne s’adressant qu’à une personne chère et vénérée. Les livres scientifiques prêtés retiennent mon attention, mais vous ne pouvez pas me reprocher d’être livresque dans mes écrits. S’il en était autrement, je comprends que notre but serait manqué.

Oui, mon cher Ami, c’est un bien gros problème que ce début des menstruations, surtout quand la pauvre victime est ignorante de tout. D. m’a raconté ses impressions, car vous pensez bien que l’enfant n’était aucunement renseignée; elle n’est pas restée naïve pour rien! Donc, quand pour la première fois elle se rendit compte de la saignée, sa première pensée fut de cacher la chose à sa famille. Étant donné la localisation de la maladie, la plupart des enfants qui se trouvent dans le cas de D. croient à une maladie honteuse. Elles sont trop gênées pour en parler, entrevoyant d’avance un examen médical, qui les fait rougir. Alors elles essaient de se soigner seules, jusqu’à ce qu’on les découvre en pleurs.

La première idée qui leur vient est de se laver. Moi qui suis allée chez D., à Saint-Dominique-de-Bagot, je vois d’ici comment ce devait être compliqué de le faire en cachette. Pas de chambre de bain. On se lave dans la salle à manger ou dans la cuisine, en présence de tout le monde. Ou bien on peut le faire à sa chambre dans un bassin qu’il faut naturellement redescendre pour vider le contenu. La dernière solution serait de jeter l’eau (ou autre liquide) par la fenêtre, sur la tête des passants… dominicains!


 

Oui, mon cher Ami, c’est un bien gros problème que ce début des menstruations, surtout quand la pauvre victime est ignorante de tout.

Extrait de l’œuvre


 

D. avait réussi à apporter un bassin rempli d’eau dans une espèce de grenier ou chambre froide, où, lors de son mariage, au début de septembre, on grelottait à mourir. La pauvre, atteinte de l’indisposition, s’y lavait, puis changeait de caleçons. Mais elle ne se mettait ni kotex (il ne pouvait être question de kotex!), ni garnis. Et puis il fallait faire disparaître les vêtements tachés, qu’elle lavait en grande hâte et étendait dans un coin dissimulé pour les faire sécher. Hélas! Une demi-heure après, il fallait recommencer! La saignée, évidemment, continuait toujours. Il arriva ce qui devait arriver. On s’aperçut des disparitions fréquentes de D. Sa grande sœur, qui partageait la même chambre qu’elle, la voyait partir pour «en haut» et ne la retrouvait pas ensuite. On la découvrit dans le grenier parmi les sous-vêtements tout tachés, les bassins d’eau glacée, le sang, les « épluchures de blé d’Inde », et que sais-je encore! Elle éclata en sanglots étouffés.

[…]

Les élèves pensionnaires ignorantes sont bien à plaindre aussi. Quelques exemples.

Pauline est surprise par les premières menstruations, au cours de la nuit. Elle couche dans un dortoir commun, tout à côté de ses compagnes. La cloche sonne. Au premier son de la cloche, dans les couvents, il faut se dresser bien assise et tout de suite bien réveillée, dans son lit, et réciter à tue-tête «le cœur à Dieu»! Puis il faut ensuite se lever non moins vite, pour procéder à la toilette. Si vous n’êtes pas une élève aussi diligente, la religieuse qui garde vient vous sonner la cloche dans les oreilles, et vous vous levez… enragée! (Je ne parle pas pour moi, car j’avais une chambre!) Qu’arrive-t-il à la malheureuse Pauline, absolument ignorante, et qui baigne dans son sang? Pour ne pas avoir rempli son devoir matinal, elle peut se faire gronder en présence de ses compagnes, car malgré la cloche dans les oreilles, elle n’aura pu se décider à se lever avec une robe de nuit toute tachée. Si la religieuse alors est bonne et intelligente comme il convient, et comme il arrive la plupart du temps, elle se rendra au lit de Pauline et lui demandera si elle est malade. En supposant qu’elle agisse ainsi, Pauline se trouvera tellement gênée qu’elle ne pourra répondre. La religieuse alors devinera peut-être; mais voyez-vous, dans le grand dortoir, les centaines d’yeux tournés du côté de Pauline, et tous ces regards inquisiteurs allant bientôt de l’une à l’autre… Cet âge est sans pitié. Aussi, fatalement, les compagnes de Pauline se mettront à rire. Rien n’est moins drôle, pourtant, mais l’éducation est si mal faite, au couvent comme dans les familles, que l’on commence déjà à s’amuser de ce qui crée la vraie femme.

Une autre élève que j’ai connue, et qui était aussi ignorante que Pauline, se trouvait dissimulée dans une alcôve, loin des regards de la maîtresse et des élèves. Naturellement, elle ne se lève point pour aller à la messe, sans avertir personne de crainte qu’on la questionne. Voyant l’hémorragie épouvantable dont elle était affectée, elle croit qu’elle est en train de perdre tout son sang. Elle pleure, elle prie, elle ferme les yeux et attend patiemment la mort… On la découvre après le déjeuner dans un état de surexcitation qui n’était pas loin en effet d’approcher du trépas!

Une troisième, moins gênée, va avertir la maîtresse qu’elle a… une indigestion de framboises!


Lettres présentées par Yves Gingras et Craig Moyes.