Jérémie McEwenLa Joie de penser

L’amitié intellectuelle est peut-être l’une des plus joyeuses qui soient.

Notre entretien
avec l’auteur

Vaste question pour commencer : qu’y a-t-il de si joyeux dans la pensée?

C’est comme si je touchais à un bouton en moi, quand je pense. C’est le bouton du bonheur, ni plus ni moins, le bouton de la joie. Le bonheur quand je médite seul, la joie quand je pense avec d’autres à voix haute. La pensée dont je parle est méditative, ruminante, sans but précis autre qu’elle-même. C’est comme le plaisir de prendre un thé avec un vieil ami – on ne règle rien dans ces rencontres, mais la vie perdrait de sa saveur sans elles.

Dans un très beau texte sur la parole, vous écrivez : « Il faut prendre le risque de la parole. » Comment envisagez-vous votre rôle d’intellectuel dans la cité, voire des intellectuels en général?

Il est possible de penser en méprisant le monde. J’ai plutôt choisi l’autre voie. Je pense dans l’amour de mes semblables, même si souvent ils me déçoivent, même si souvent j’ai l’impression que nous ne méritons pas la beauté du monde, eux et moi. Je me plonge quotidiennement dans notre petitesse, dans notre échec collectif à faire un monde à la hauteur du monde, et le risque que cela implique me surprend parfois. Parce que parfois, ce risque est récompensé, et le monde fonctionne pendant une fraction de seconde. Il faut se mettre totalement en jeu pour vivre ces moments-là, autrement c’est l’échec à temps plein.


 

Parfois je rigolais avec Serge, quand nous arrivions à des conclusions voisines : “Quand nous disons la même chose, Serge, j’ai l’impression d’avoir trouvé la bonne réponse.”

Extrait de l’entretien


 

Ce recueil regroupe une quarantaine de chroniques que vous avez préparées pour l’émission C’est fou… sur les ondes de Radio-Canada. Elles traitent de sujets aussi vastes que variés. Est-ce que vous les choisissiez vous-même ou étaient-ils imposés? Comment vous vient l’idée d’une chronique et comment abordez-vous cet art si particulier?

Le thème était imposé. Le défi était de trouver un angle qui ne serait pas couvert dans le reste des deux heures que durait l’émission. Parfois je rigolais avec Serge, quand nous arrivions à des conclusions voisines : « Quand nous disons la même chose, Serge, j’ai l’impression d’avoir trouvé la bonne réponse. »

Au début de la semaine, je faisais comme si c’était un projet de recherche de longue haleine. Lectures dans tous les sens, fouilles sans but précis. Mais au bout de deux jours, je m’assoyais pour écrire. Et en écrivant, le fil narratif de ma réflexion émergeait. Serge et moi, nous réfléchissions dans la narrativité, c’est un important point commun entre nous.

À partir du texte, je me faisais de petites notes, parce que je ne voulais pas lire en ondes. Je ne suis pas comédien, et seuls les comédiens lisent bien à mon sens. Je répétais ma chronique à voix haute le matin avant de quitter la maison pour m’assurer que la longueur était bonne, et pour prévoir des fins alternatives si le temps manquait.Une fois arrivé en studio, le travail était fait, la joie commençait. Ma feuille était là, mais je n’avais presque pas besoin de la regarder. Nous jasions. Il y avait une semaine de travail derrière la jasette, mais ça demeurait de la jasette. La pointe visible de l’iceberg, comme on dit.

La Joie de penser est un hommage à Serge Bouchard, animateur de C’est fou… aux côtés de Jean-Philippe Pleau. Près de trois ans après sa mort et après l’écriture de ce livre qui vous a amené à réfléchir à la relation intellectuelle qui vous unissait, comment voyez-vous son influence sur vous, sur votre pensée et le débat d’idées?

Il est partout en moi. Je pèse mes mots. Parce que je raconte en pensant, parce que je rencontre en pensant, parce que le sacré et le sens sont au cœur des choses, pour moi comme pour lui, j’en suis convaincu. Il m’a permis de devenir moi-même, m’a appris à aimer penser comme je pense, sans complexes, sans enflure, dans un style direct et simple.


Livre publié dans la collection « Papiers collés ».