Robert LalondeOn est de son enfance

L’enfance qui convoque la merveille charroie aussi le mal-être.

Notre entretien
avec l’auteur

L’enfance revient sans cesse dans votre œuvre, très intimement liée au monde de l’imaginaire. L’enfance comme âge de l’émerveillement mais aussi comme celui de la perte de l’innocence. Pourquoi est-ce si central pour vous?

Enfant, on sait déjà qui on est, ce qu’on désire, ce qui nous chante, ce qui nous enchaîne, ce qui nous appelle, ce qui nous retient. La suite imaginée, puis réelle (pour celles et ceux qui surmontent les embûches), est celle de l’enfant qui n’oublie pas ses chances et ne se trompe pas sur ses entraves. À son commencement revient souvent l’adulte que je suis, lorsqu’il s’égare, s’étant laissé abuser par ce qu’on a voulu de lui. Pour lui. La perte de l’innocence n’est pas tant la fermeture du paradis premier que la révélation brutale du sentier sans issue qu’on lui a fait prendre, de même que celle de la clairière libre qui l’attend et qu’il avait oubliée.

Dans vos plus récents livres, vous faites la part belle à la citation, aux textes de vos collègues écrivains dont vous sertissez les vôtres. On dirait que, pour vous, écrire, c’est d’abord et avant tout – et de plus en plus – être un lecteur. Est-ce ainsi que vous le ressentez?

Absolument. On n’écrit jamais seul. J’aime et je tiens à celles et ceux qui m’épaulent, m’aiguillent, me donnent la permission d’avancer sans pudeur, m’autorisent à lâcher la bride sans affolement. Il m’importe de faire savoir avec quel bois je me chauffe. De plus, citant, je me mesure à celles et ceux qui, avant moi, pour moi, ont franchement osé.


 

Non pas tour à tour, mais dans la même journée et du même souffle, je vis entouré et seul. Cette contradiction-là me semble le fait même de vivre.

Extrait de l’entretien


 

L’écriture, la lecture sont des actes qui relèvent de l’intimité, du monde intérieur. Toutefois, vous ne cessez de célébrer l’errance, le déplacement, la vie au-dehors. Comment réconciliez-vous ces forces contradictoires?

Il n’y a pas contradiction mais cohabitation en moi, depuis mon enfance sauvage, du monde extérieur et du monde soi-disant intérieur. Lire en soi, tout en déchiffrant les grandes énigmes de la nature, c’est apprendre à connaître sa propre nature, son existence d’animal-humanoïde vivant dans la dramaturgie d’un territoire, familier ou non, aujourd’hui scruté quasi uniquement sur des écrans cathodiques. Non pas tour à tour, mais dans la même journée et du même souffle, je vis entouré et seul. Cette contradiction-là me semble le fait même de vivre.

Dans le même ordre d’idée, vous ancrez fermement votre activité d’écrivain dans un espace situé en dehors de la ville. On pourrait même y voir un refus de l’urbanité, de la place publique. Pensez-vous que ce retrait loin de la foule est essentiel au travail de l’écrivain?

Non, bien sûr. Bien que pour moi, il s’agisse manifestement d’abord d’une fuite. Fugueur un jour, fugueur toujours. La ville me force à tout voir et à tout entendre dans une frénésie magnétique qui me conduit à une sorte de dérèglement des sens abrutissant. Ici règnent rapprochement et éloignement, apprivoisement et détachement, bourrasques et accalmies. Les audacieuses humeurs sans raison des saisons me donnent la mesure à la fois de ce dont la nature est capable, de manière magnifiquement incohérente, et de ce que je suis moi-même apte à tenter, dans le doute comme dans l’emportement.