Jocelyne Saint-ArnaudSoins de fin de vie : qui décide?

Personne ne veut en parler, mais le sujet est pourtant inévitable.

Notre entretien
avec l’autrice

« Soins de fin de vie » et « aide médicale à mourir », cela ne veut-il pas dire la même chose?

« Soins de fin de vie » n’est pas synonyme d’« aide médicale à mourir ». Les soins de fin de vie concernent tous les soins et interventions qui peuvent être faits pour apporter une mort sereine, sans douleur et entourée des siens. Le but visé n’est plus d’améliorer la santé ou d’empêcher qu’elle se dégrade; ce n’est plus possible. Il s’agit donc de rendre la fin de la vie confortable, dans une approche globale de soins qui tient compte des aspects biologiques, psychosociaux et spirituels.

L’aide médicale à mourir, pour sa part, est synonyme d’« euthanasie » dans les pays qui l’ont légalisée. Elle consiste, pour un professionnel de la santé habilité à le faire (médecin ou infirmier praticien spécialisé), à mettre fin à la vie d’une personne à sa demande, pour autant qu’elle répond aux critères spécifiés dans la Loi concernant les soins de fin de vie, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une personne majeure, apte à consentir ou à refuser des soins, assurée au sens de l’assurance maladie du Québec, atteinte d’une maladie ou d’un handicap grave et incurable, et éprouvant une souffrance physique ou psychologique insupportable qui ne peut être soulagée de manière tolérable.

Quelles décisions y a-t-il à prendre au sujet des soins de fin de vie? De telles décisions ne sont-elles pas de toute façon dictées par la situation médicale et par l’équipe soignante?

Au Québec, 76,7 % des décès ont eu lieu à l’hôpital en 2022 selon Statistiques Canada, la moyenne canadienne étant de 55 %. Notre système de santé est centré sur les soins hospitaliers; peu d’investissements ont été faits dans les services communautaires et les services à domicile. Heureusement, de nouvelles initiatives commencent à faire des liens entre soins critiques et soins palliatifs dans une approche globale de soins, notamment à l’hôpital et au CLSC de Verdun où, avec l’appui de la Fondation Jacques-Bouchard, des efforts sont déployés pour donner de meilleurs services à domicile.

Actuellement, l’urgence est généralement la porte d’entrée des soins quels qu’ils soient. En conséquence, si une personne âgée atteinte d’une maladie grave et incurable n’a pas fait connaître ses volontés concernant les traitements qu’elle souhaite ou non recevoir, on fera tout pour protéger sa vie. Par exemple, une personne qui fait un arrêt cardiorespiratoire sera réanimée, quelle que soit sa condition de santé, si aucune prescription de non-réanimation n’a été placée à son dossier. On dispose d’énormément de moyens techniques pour maintenir en vie des personnes dont les capacités sont minimales, et ce, pendant de nombreuses années. Ainsi, on peut garder longtemps une personne dans un coma végétatif permanent en l’alimentant par des tubes. Cependant, il y a différents moyens de faire connaître ses volontés à l’avance : testament biologique, mandat, directives médicales anticipées; s’ajoute à cela la possibilité pour la personne apte ou son représentant de discuter de niveaux de soins avec le médecin traitant. Dans les formulaires prévus à cet effet, des indications peuvent être données concernant le refus d’acharnement thérapeutique et, plus précisément, le refus de certaines interventions comme la réanimation cardiorespiratoire, les soins intensifs ou l’alimentation forcée ou par tubes. Il est important d’en discuter avec les personnes concernées. Faire connaître ses volontés à l’avance décharge les proches d’avoir à prendre seuls des décisions difficiles, particulièrement quand il s’agit de cesser ou de ne pas entreprendre des traitements qui maintiennent la vie. Dans le livre, des liens Internet permettent au lecteur de visionner des vidéos conçues par des comités d’éthique hospitaliers qui montrent en quoi consistent la réanimation cardiorespiratoire et les soins intensifs.


 

Faire connaître ses volontés à l’avance décharge les proches d’avoir à prendre seuls des décisions difficiles, particulièrement quand il s’agit de cesser ou de ne pas entreprendre des traitements qui maintiennent la vie.

Extrait de l’entretien


 

Est-ce que chacun est libre de faire ce qu’il veut ou ces choix sont-ils étroitement balisés? Si c’est le cas, selon quels critères?

Toute personne apte a le droit de refuser un traitement, quel qu’il soit. Elle ne peut demander un traitement que si les professionnels de la santé le jugent approprié. Le refus comme le consentement aux soins doit être libre, sans pression indue de la part de l’équipe de soins ou des proches; il doit aussi être éclairé, c’est-à-dire que la personne doit avoir reçu et compris les informations pertinentes à la prise de décision. Il ne faut pas se priver de poser toutes les questions qui permettent de comprendre en quoi consiste le traitement proposé, quels sont les effets secondaires, quelles sont les solutions alternatives, etc. Des exemples de questions à poser sont inclus dans le livre. Une bonne communication est essentielle, non seulement entre soignés et soignants, mais aussi entre les membres de la famille pour éviter des mésententes, qui sont courantes lorsque surviennent des discussions sur les traitements à entreprendre ou non. Les proches ne sont pas toujours d’accord avec les choix de la personne soignée, et ils ne sont pas toujours d’accord entre eux. Quand le soigné a fait connaître ses volontés à l’avance, il est plus facile pour les proches d’accepter ces choix.

Quel est le rôle de la famille, des proche-aidants, dans les soins de fin de vie? Leur voix peut-elle être entendue?

Les critères d’aptitude sont exposés au chapitre 2. Selon le Code civil, la personne apte a toujours priorité en matière de consentement ou de refus de soins. Quand la personne en fin de vie est devenue inapte, c’est le représentant légal qui sera d’abord consulté. S’il n’y a pas de représentant légal (tuteur, curateur, mandataire), c’est en ordre de priorité le conjoint qui est consulté, puis un proche parent, et enfin quelqu’un qui est au chevet de la personne soignée, sans nécessairement avoir de lien de parenté avec elle. Dans la pratique, les proches sont mis au courant des options de soins, à moins que la personne apte ne s’y oppose. Les proches ont un rôle important à jouer auprès de la personne en fin de vie. En plus de participer aux décisions de soins pour la personne inapte, ils remplissent un rôle de soutien primordial. Leur présence est encore plus essentielle si la personne soignée décède à domicile. C’est la psychologue Marie de Hennezel qui explique comment la fin de vie peut amener du positif, à la condition que chacun soit ouvert aux échanges, à la présence vraie. Il s’agit d’une période où se fortifient les liens humains. Les proches rendent possibles des expériences riches durant lesquelles ceux qui refusent la fuite assurent un soutien psychologique et social essentiel à une approche globale de soins qui est enrichissante pour tous.


Livre écrit avec la collaboration de Delphine Roigt.