Markoosie PatsauqChasseur au harpon

Le premier roman en inuktitut jamais publié, maintenant en « Boréal compact ».

Extrait de l’œuvre

 

« Quand nous repartirons chasser, je voudrais tuer un ours blanc », dit Kamik. « Moi aussi, dit son père. Nous aurions de la viande pour longtemps, et la peau d’ours blanc fait d’excellents vêtements. »

Ujamik, la mère de Kamik, coud des bottes que les hommes utiliseront quand ils partiront. Elle ne veut pas qu’ils aient froid à la chasse, car leur territoire est glacial en hiver. Kamik est content que sa mère sache fabriquer d’aussi bons vêtements. Sans cela, leurs pieds gèleraient. Elle passe toutes ses journées à fabriquer des vêtements pour qu’ils ne souffrent pas du froid quand ils chassent. Peut-être tueront-ils un ours blanc la prochaine fois. Mais Kamik sait bien que cette chasse demande de grands efforts. Parfois, plusieurs hommes ont beau poursuivre un ours blanc, ils ne le tuent pas. Les ours mettent souvent les hommes en échec, même quand ils sont traqués. La chasse à l’ours est la plus exigeante de toutes. Parfois, si un ours est arrêté par les chiens, il peut les tuer. Parfois aussi, il peut tuer un homme. Les ours blancs sont terribles. On les chasse malgré tout, car il n’y a pas le choix. Ils donnent de la nourriture et des vêtements.

Kamik est heureux d’apprendre à chasser de mieux en mieux. C’est son père qui lui enseigne. Kamik s’entraîne chaque jour à utiliser son harpon. Il a maintenant seize ans et il sait chasser. Souvent, Kamik entend son père raconter qu’il a tué seul un ours blanc. Celui-ci l’avait presque achevé d’un seul coup de patte. Alors que l’ours revenait à la charge, Salluq l’avait tué avec son harpon. Pendant des jours et des jours, il avait souffert sans pouvoir bouger. Aujourd’hui encore, une de ses jambes fonctionne mal. Même ainsi, Kamik sait qu’à la chasse son père est le plus habile de tous les hommes.

Cette nuit-là, quelque chose d’effrayant leur arrive.

Kamik, toujours éveillé, ne trouve pas le sommeil. Comme les chiens se mettent à pousser de grands hurlements, il réveille son père. En un rien de temps, celui-ci est debout et enfile ses vêtements. Puis il sort pendant que Kamik s’habille encore. Quand Kamik, sur le point de sortir lui-même, met la tête dehors, une scène effrayante apparaît sous ses yeux.


 

Les ours blancs sont terribles. On les chasse malgré tout, car il n’y a pas le choix.

Extrait de l’œuvre


 

Là, tout près, il voit un énorme ours blanc, et son père qui attrape son harpon. Comme les chiens attaquent l’ours, ce dernier ne fait pas attention à Salluq, qui brandit son arme et la plante dans une patte de l’animal. L’ours pousse alors un terrible grondement. Blessé, il prend la fuite et disparaît dans l’obscurité de la nuit. Kamik, figé par la peur, n’est même pas sorti et n’a rien fait d’autre qu’assister à la scène. Il est très malheureux que cette peur l’ait empêché d’aider son père et se dit qu’il ignore peut-être encore ce qu’est la chasse. Plusieurs hommes arrivent, le harpon à la main, pour voir ce qui s’est passé. Ils cherchent autour d’eux et trouvent cinq chiens morts, tués par l’ours. La vue de ces chiens morts leur soulève le cœur. Certains ont les entrailles apparentes. Leur ventre a été entaillé au cours de l’attaque, mettant au jour leurs viscères. La neige est rouge de leur sang.

De retour à l’iglou, Salluq dit: « L’ours qui est venu ici n’a certainement pas toute sa tête. Il doit être malade, car je n’ai jamais connu d’ours qui s’approche des hommes uniquement pour se battre avec les chiens. Je pense qu’il a attrapé des vers qui rendent fou. Lorsque les chiens et les renards ont ces vers, c’est ce qui arrive: ils perdent la tête et deviennent dangereux. Peut-être que cet ours les a aussi attrapés. Si c’est le cas, il va semer la terreur. S’il s’est battu avec un autre ours, cet adversaire sera infecté aussi. Et si d’autres ours attrapent les vers, ils vont tuer beaucoup d’hommes, de chiens et d’animaux. »

Les hommes discutent et décident qu’il faut faire des recherches pour tuer cet ours qui vient de faire irruption chez eux. Le mieux serait qu’il meure rapidement. Si plusieurs ours attrapaient les vers, le territoire serait rempli de dangers.


Traduit de l’inuktitut (Canada) par Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu.
Préface de Mary Simon.
Livre publié dans la collection « Boréal compact ».