Frédéric SmithDes Québécois en Normandie

Plongez au cœur de l’action avec les soldats Québécois qui ont participé à l’un des épisodes clés de la Seconde Guerre mondiale.

Notre entretien
avec l’auteur

La participation des Québécois à la Seconde Guerre mondiale est surtout reliée, dans l’imaginaire collectif, à la crise de la conscription. Pourtant, en vous lisant, nous découvrons avec étonnement que la très grande majorité des soldats québécois ayant participé aux combats – près de 90 000 d’entre eux – étaient des volontaires. Pourquoi les Québécois connaissent-ils si mal leur histoire militaire ?

En raison, du moins en partie, de la survalorisation de l’image du conscrit dans la littérature et l’historiographie québécoises.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, en 1939, les élites intellectuelles et politiques du Québec expriment rapidement des craintes à l’égard du premier ministre William Lyon Mackenzie King et remettent en doute la solidité de sa promesse de ne pas imposer la conscription pour le service outremer. Dès l’automne 1940, le gouvernement King introduit un entraînement militaire obligatoire pour les jeunes hommes, mais il est explicitement destiné à la défense du territoire.

Les résultats du plébiscite pancanadien de 1942 ravivent les tensions entre Canadiens anglais et Canadiens français : le gouvernement est relevé de sa promesse, malgré l’opposition du Québec. Les premiers conscrits pour le service outremer n’arrivent finalement en Europe qu’à partir de l’automne 1944, alors que la guerre tire à sa fin : parmi eux, environ 2 500 prennent part aux combats sur le continent, et environ 70 y perdent la vie. À titre comparatif, 360 fantassins de la 3e Division d’infanterie canadienne, tous volontaires, périssent lors de la seule journée du 6 juin 1944.

Serait-ce à cause du souvenir de Dieppe, mais la participation des Québécois à la libération de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale est souvent synonyme de sacrifice inutile, de boucherie. Nos troupes ont pourtant joué un rôle important dans la victoire. Encore ici, pourquoi cette distorsion dans la mémoire ?

Peut-être en raison de l’empreinte durable des traumatismes collectifs sur notre perception de la guerre. Au Québec, l’usage de la violence armée a souvent entraîné une diminution des libertés individuelles. On pense évidemment à la guerre de la Conquête ou à la répression des Patriotes. La crise de la conscription lors de la Première Guerre mondiale constitue un autre exemple de libertés menacées, alors que les Canadiens français étaient forcés d’envoyer leurs fils mourir pour les intérêts de l’Empire britannique.

Pour revenir à la Seconde Guerre mondiale, l’échec du raid amphibie contre le port français de Dieppe, le 19 août 1942, marque effectivement les esprits. L’opération coûte la vie à de nombreux soldats canadiens, dont plusieurs appartiennent aux Fusiliers Mont-Royal, un régiment francophone qui participera à la bataille de Normandie en 1944. Les Canadiens français semblent encore servir de chair à canon. Cette perception, conjuguée au débat qui entoure la conscription, relègue au second plan l’héroïsme des volontaires partis combattre en Europe.


 

Quatre unités composées entièrement de francophones ont été mobilisées lors de la bataille de Normandie à l’été 1944.

Extrait de l’entretien


 

Dans quelle mesure la spécificité québécoise était-elle reconnue sur le terrain et dans la chaîne de commandement ? Ou ces Canadiens français ont-ils plutôt dû se fondre aux troupes canadiennes et alliées, majoritairement anglophones ?

Quatre unités composées entièrement de francophones ont été mobilisées lors de la bataille de Normandie à l’été 1944. Le Régiment de la Chaudière a effectué son débarquement tôt le matin du 6 juin, tandis que les débarquements du Régiment de Maisonneuve, des Fusiliers Mont-Royal et du 4e Régiment d’artillerie moyenne ont eu lieu au début du mois de juillet. Mon ouvrage aborde aussi la contribution de la 425e Escadrille « Alouette », une unité d’aviation francophone impliquée dans les bombardements du jour J.

De très nombreux Québécois francophones ont aussi combattu au sein d’unités anglophones de l’Armée canadienne. C’est le cas du parachutiste Philippe Rousseau, l’un des premiers soldats alliés à perdre la vie le matin du 6 juin, et le premier canadien-français; de même que du tankiste Léo Gariépy, ou encore de l’infirmière Paule Vallée. Je raconte leur parcours et bien d’autres dans le livre.

Le commandement des unités francophones au sein de l’Armée canadienne était confié à des Canadiens français, dont certains ont gravi les échelons de la hiérarchie militaire. Celle-ci demeure toutefois dominée à 92 % par des généraux et des officiers supérieurs anglophones, comme avant la guerre. Le cas le plus illustre est sans doute celui du major Jacques Dextraze, commandant d’une compagnie des Fusiliers Mont-Royal à l’été 1944 : il atteindra le grade de général et sera nommé chef d’état-major des Forces armées canadiennes en 1972.

Quelle influence la guerre a-t-elle eue sur ceux qui sont revenus ? Et, à leur tour, quelle influence ceux-ci ont-ils exercée sur le Québec de l’après-guerre ?

Les vétérans ont acquis plusieurs habiletés pendant la guerre. Mais plusieurs sont revenus traumatisés par leur expérience. La psychiatrie militaire était alors une science émergente, surtout développée depuis la campagne d’Italie en 1943-1944. Les autorités militaires voyaient en elle un moyen de faciliter le retour des hommes au combat, ce qui entraînait des tensions avec le personnel médical.

Des vétérans se lanceront en affaires, comme le lieutenant Louis de Gonzague Jalbert, du Régiment de la Chaudière, évacué à la fin du mois de juin 1944 en raison d’un choc post-traumatique. Il s’associera à son frère Paul en 1959 pour diriger l’entreprise Croustilles Yum Yum, qui deviendra un fleuron de l’entrepreneuriat québécois. Un autre exemple est celui du lieutenant-colonel Guy Gauvreau, des Fusiliers Mont-Royal, qui occupera les postes de vice-président à la brasserie Dow, de président et directeur de la Commission de transport de Montréal et de président fondateur de la Place Bonaventure.

Quelques-uns accéderont aux plus hautes sphères de la vie politique. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un jeune René Lévesque, alors correspondant de guerre, qui témoigne des préparatifs du jour J dans le sud de l’Angleterre. Un autre futur premier ministre du Québec traverse le récit : le major Paul Sauvé, des Fusiliers Mont-Royal, qui succédera brièvement à Maurice Duplessis en 1959. Le major Hugues Lapointe, du Régiment de la Chaudière, sera ministre à Ottawa, puis lieutenant-gouverneur du Québec.

Quelle que soit leur destinée, tous ont partagé le souhait que la mémoire des disparus ne soit jamais oubliée.