Etienne Goudreau-LajeunesseCochoncetés

Dix nouvelles aussi angoissantes que fascinantes, dont on ne sort pas indemne.

Notre entretien
avec l’auteur

Les thèmes de l’écologie et de notre rapport à la nature traversent Cochoncetés de bout en bout. D’où vient votre intérêt pour ces questions? Découle-t-il d’une écoanxiété qui semble aujourd’hui aussi inévitable que généralisée?

C’est une vaste question. Il est vrai que ce projet découle de préoccupations écologiques, mais les gens qui me connaissent savent que je suis quelqu’un de très peu anxieux. J’ai cherché à fouiller différents rapports que l’on entretient avec la « nature », que l’on considère souvent comme une chose loin de nous, étrangère. Je pense que les discours environnementalistes que l’on nous répète depuis l’enfance, même s’ils sont essentiels, ont tendance à renforcer cette distance – il y a, selon eux, une inadéquation profonde entre l’humain et la nature, notre seule présence détruirait l’environnement. L’écoanxiété (telle que j’ai pu la vivre, en tout cas) vient de là. Mais ce que les enjeux écologiques viennent contrecarrer, il me semble, c’est avant tout le récit de l’exception humaine (soit que l’humain serait hors de cette « nature »), et celui du progrès linéaire et infini. Or l’humain est un être biologique, et les cycles biologiques sont davantage circulaires que linéaires. Depuis quelques années, j’envisage donc l’écologie non pas comme une façon de « sauver la planète », ce qui implique un récit temporel de l’humanité, mais comme une façon de l’investir, de l’habiter. Ce qui guide ces questions n’est donc pas l’écoanxiété. Je m’intéresse davantage aux relations qui nous lient, dans le présent : comment assumer la place que l’on occupe ? Comment apprécier la complexité des relations qui nous composent ? Comment créer, plutôt que détruire ?

Que peut la littérature, quel est son rôle, dans un monde qui court à sa perte? Comment et pourquoi continuer à écrire malgré tout?

Je ne sais pas si le monde court à sa perte, mais il me semble qu’il devient de plus en plus complexe, alors que les discours qui le définissent sont de plus en plus univoques et laissent peu de place à la réflexion. La réponse qui m’apparaît évidente est donc que la littérature est le refuge de la pensée ; elle permet de fouiller un sujet, de mettre en tension des réalités contradictoires, sans l’impératif du résultat ou de l’opinion vraie. Mais la création répond aussi à un besoin plus viscéral ; créer, c’est aussi « faire », ce qui permet de sortir de l’immobilisme, même si ce « faire » relève de l’imaginaire. L’écriture est une façon, pour moi, d’explorer le monde dans son ambiguïté et dans ses contradictions, et, surtout, d’en retirer un immense plaisir.


 

Et si des êtres souffrent et meurent chaque jour, si des espèces disparaissent, cela n’empêche pas la joie, la tendresse ou la beauté. C’est cette coexistence parfois étrange que j’essaie de montrer dans mes récits.

Extrait de l’entretien


 

Il est aussi beaucoup question de violence, de cruauté, de mort dans votre recueil. En les abordant, de front ou de manière détournée, vous maintenez le lecteur dans une position souvent inconfortable, mais qui ne laisse pas indifférent. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’idée de provoquer cet inconfort?

Mon idée est surtout de ne pas gommer certaines réalités. Si la violence apparaît dans le recueil, c’est parce que cette violence existe dans le monde, elle ne nous est pas étrangère. Le monde n’est pas homogène, pas plus qu’il n’a d’ordre idéal ou d’harmonie. Et si des êtres souffrent et meurent chaque jour, si des espèces disparaissent, cela n’empêche pas la joie, la tendresse ou la beauté. C’est cette coexistence parfois étrange que j’essaie de montrer dans mes récits.

Et puis, même si je pense que la littérature ne doit pas chercher le confort, mon but, en exposant cela, n’est pas de rendre inconfortable. Au contraire, je trouve un certain confort dans l’idée d’accepter l’instabilité du monde. Plusieurs des personnages du recueil sont mis face à l’échec de leur rêve, de leur idéal ; ils vivent des situations parfois cruelles, mais c’est en acceptant la perte qu’ils arrivent à continuer. Je reviens souvent au magnifique titre de Donna Haraway : l’autrice nous invite, devant l’étrangeté du monde et des relations qui nous y lient, à « vivre avec le trouble ». Et le meilleur moyen d’y parvenir, il me semble, est la littérature.