Simon RoyMa fin du monde

Entre réalité et fiction, Simon Roy s’interroge sur le sens de la peur
et tente une dernière fois d’éloigner la mort.

Extrait

Passant de l’univers macabre de Stanley Kubrick (The Shining) à celui alarmiste d’Orson Welles (dans son adaptation radiophonique de La Guerre des mondes), Simon Roy n’en continue pas moins de lier ses obsessions personnelles à celles d’œuvres marquantes qui enfoncent la réalité au risque d’effrayer l’être humain.

Au contraire de ce que l’on pourrait être enclin à croire, le projet de l’adaptation de La Guerre des mondes n’a pas été pensé à l’origine comme un canular. Le concept de la pièce radiophonique, fictive, basée sur un roman lui-même fictif, ayant clairement été annoncé au début de la retransmission, de même que dans la grille des émissions, des journaux, montre hors de tout doute que le public avait été prévenu en bonne et due forme de l’intention artistique et de la nature fictive du projet, ce qui peut prouver qu’au départ il n’y avait aucune volonté de la part d’Orson Welles de tromper l’auditoire.

Lui qui craignait de faire un bide avec l’adaptation de ce roman au style rébarbatif, Welles a réfléchi à une manière nouvelle d’intéresser le public. Bien que la vaste majorité des gens à l’écoute ait compris d’emblée le caractère fantaisiste de l’œuvre, certains plus crédules sont allés confondre bêtement réalité et fiction… Mais jamais Welles ne se serait douté qu’on y prêterait foi. L’enchaînement des événements aura tout simplement échappé au créateur qui n’aurait jamais pu imaginer l’ampleur des réactions affolées du public.

L’envol dans l’orbite de l’escroquerie se fait pour Orson Welles sur la carlingue d’une soucoupe volante. On rapporte que pendant l’interprétation de La Guerre des mondes par le Mercury Theatre un déluge d’appels prend d’assaut les standards téléphoniques à travers les États-Unis. La population, sous le choc, cherche à comprendre ce qui se trame. Envahisseurs. Extraterrestres. Armée. Martiens. Rien n’a plus de sens.

L’homme doit se borner à ce qu’il connaît de manière certaine, souvent grâce aux lumières de la science. Depuis le milieu du XIXe siècle, on assiste à l’émergence d’un mouvement de pensée qui consiste à ne croire qu’en ce qui peut être observé, prouvé, validé par l’expérience scientifique. Relayant les idées progressistes du siècle de la Raison, on cherche à débusquer les superstitions passéistes et les croyances sans fondements, repoussant une certaine forme d’obscurantisme héritée du Moyen Âge.

Or, l’impression qui se dégage surtout de l’affaire peu commune qu’est La Guerre des mondes, c’est que les réactions qu’a suscitées l’ingénieuse mise en scène de Welles illustrent moins un éventuel mouvement de panique que ce discours, classique depuis le XIXe, qui consiste à attribuer une propension aux croyances irrationnelles chez les autres pour mieux s’en démarquer. Les jours qui ont suivi la controversée émission de radio, on a en effet constaté un déchaînement de commentaires à propos de ces croyances irraisonnées chez les plus naïfs. Moins d’une décennie plus tard, en 1947, le cas célèbre des soucoupes volantes de Roswell n’a fait que confirmer, en l’accentuant, ce penchant.

Dans la perspective du positivisme qui gagne en influence depuis Auguste Comte, l’esprit éclairé aime s’estimer rationnel en général et se conforte dans cette idée qu’il est supérieur aux individus crédules qui adhèrent sans remise en question aux superstitions et aux phénomènes jugés irrationnels. La réaction des plus irréfléchis aurait été aux yeux des premiers la preuve accablante de la naïveté des masses.


Le canular de Welles aurait permis de mettre en valeur l’esprit positiviste triomphant aux dépens de comportements précipités et d’attitudes inconsidérées.

Extrait du livre


On peut considérer également la situation d’un tout autre angle: si on note que le volume des appels téléphoniques a augmenté de manière importante à partir de 20 h 15 le 30 octobre 1938, notamment dans la région du New Jersey où se seraient produits les événements, il faut interpréter ce réflexe avant tout comme le signe positif d’une démarche rationnelle, comme on le ferait aujourd’hui en consultant des sites crédibles sur Internet. Plus qu’un symptôme de l’affolement massif des populations, on cherche une confirmation de ce qu’on vient d’entendre à la radio. Le canular de Welles aurait permis de mettre en valeur l’esprit positiviste triomphant aux dépens de comportements précipités et d’attitudes inconsidérées.

On a assisté au même genre de réactions le matin du 11 septembre 2001. En quelques minutes, on est passés de l’incrédulité à la vérification des sources, puis à la validation des informations. On a d’abord cru à un malheureux accident d’avion. Et c’est l’enchaînement des événements, la succession, voire l’accumulation des écrasements qui nous ont conduits à penser qu’il ne s’agissait pas d’accidents, mais d’actions concertées sous forme d’attentats. Et dans les heures qui ont suivi, on a trouvé une satisfaction perverse dans le fait de revoir et revoir et revoir une quantité indécente de fois les images de ces avions percutant les tours du World Trade Center. C’est qu’il nous fallait la confirmation que la tragédie était bien réelle, qu’elle ne relevait pas d’une simple collision de coïncidences. Comme si on refusait d’y croire…


Livre publié dans la collection « Liberté grande ».