Edem AwumeyNoces de coton

Un dialogue haletant porté par la violence de l’oppression.

Notre entretien
avec Edem Awumey

Votre roman Noces de coton est un dialogue entre un planteur de coton africain et un journaliste berlinois qui devient son otage. Comment s’est imposée l’idée de ces deux personnages ?

L’idée s’est imposée assez naturellement. Au-delà de la rencontre entre deux individus aux caractères bien différents, j’ai voulu créer un lieu de confrontation entre deux visions des choses a priori assez divergentes. Toby qui a vécu le travail de la terre pouvait se permettre de parler pour les siens, de raconter son rapport au coton tandis qu’Ouyi-Robinson, le narrateur, qui avait vu plus de pays aurait un regard plus distancié sur les événements. On peut oser parler au départ d’un conflit entre ces regards (le Sud et le Nord), mais au fil de l’histoire, en se découvrant, les différences vont se fondre dans une même humanité faite – ici – de douleur et d’espoir.

Le lieu où l’action de votre roman se déroule n’est pas précisé. Nous sommes quelque part en Afrique. Pourquoi avoir laissé vos lecteurs imaginer le pays d’origine de Toby ?

Tout simplement parce que nommer spécifiquement un pays aurait limité le champ du repérage. Parce que ce que vit Toby, c’est le quotidien de milliers de planteurs du Sud. C’est aussi une façon un peu prétentieuse d’inscrire l’histoire dans le lieu de l’Universel, en abattant les murs de la géographie ou de la nationalité. Car je porte toujours en moi cette phrase de Miguel Torga : « L’Universel, c’est le local moins les murs. » Ainsi se raconte un périple particulier (celui de Toby) mais qui rappelle également ce que l’autre vit. En outre, j’ai souvent considéré que, pour beaucoup d’anciennes colonies, les frontières héritées de la colonisation sont pour une bonne part artificielles, les mêmes peuples se retrouvant souvent éparpillés, disloqués entre ces lignes de partage. Ne pas nommer le pays de Toby, c’est aussi prendre le contre-pied de cette réalité, comme un acte de résistance.

Toby exige un dédommagement pour des agriculteurs ruinés par la production de coton transgénique. Mais ce qui ressort de son récit, ce sont les histoires individuelles (souvent tragiques) de ces paysans. Est-ce l’histoire collective ou celle des destinées individuelles qui vous motive à écrire ?

À mon sens, les destins individuels et l’histoire collective sont reliés. Et ce qui m’intéresse dans mes projets de roman, c’est interroger la place juste ou le sort injuste fait aux vies particulières dans la grande Histoire. Qui peut-on vraiment nommer un juste ? Qui aurait au contraire usurpé un tel terme ? Il s’agit en somme de tenter de comprendre les tragédies et les espoirs individuels qui finissent par tisser la toile complexe de l’Histoire, avec, pour moi, un recentrage sur ceux qu’on a souvent laissés crever à la marge de cette Histoire.

La photographie, les arts visuels et la musique jouent un rôle important dans vos œuvres. Quel est le rôle de l’art dans Noces de coton ?

L’art dans Noces de coton revient soulever cette question aussi vieille que le monde : une peinture ou un livre changent-ils quelque chose au sort de nos sociétés ? Et cette exposition qui devait rendre hommage au monde paysan est-elle réellement une farce ?… Et si, malgré les apparences, elle avait une part de vrai pouvant rendre compte de la réalité paysanne ? Au départ, cet événement que Toby qualifie de provocation ressemble à une comédie, mais on peut difficilement nier qu’elle raconte quand même une réalité derrière le cliché du monde paysan joyeux. Simplement, l’art ici veut provoquer un possible changement en soulevant des questions.


l’art ici veut provoquer un possible changement en soulevant des questions.

Extrait de l’entretien