Notre entretien
avec Kristina Gauthier-Landry
Comment êtes-vous arrivée à la poésie? Quelle place prend la poésie dans votre vie?
Parler d’humanité à des humains: voilà ce que représente la poésie pour moi. En ce sens, la poésie est partout, que ce soit au comptoir d’un bar ou dans la lumière habilement captée d’une photo. J’ai toujours été fascinée par la force d’évocation d’un mot, d’une scène. Ce qui se laisse deviner, ou alors qui désarme de simplicité. Tout ça, ainsi que le grand amour que je voue depuis toujours à la chanson et à la musique en général, a probablement ouvert la voie à l’adoption de la forme courte, rythmée et imagée.
Plus concrètement, même si j’écrivais déjà des poèmes à l’adolescence, c’est autour de la trentaine qu’une amie (et dévouée éditrice de ce recueil) m’a révélée à moi-même en m’annonçant que la prose que j’écrivais était en fait de la poésie. Toute surprise que j’étais, j’ai poussé l’exercice plus loin, jusqu’à terminer l’écriture de mon premier livre. La machine était lancée!
Qu’est-ce qui vous attirait dans l’idée d’écrire pour un public de lecteurs adolescents?
Je dirais d’abord le défi, tout simplement; j’étais allumée par l’idée de me mettre en danger, de troquer mon vaste silence nordique contre un terrain de jeu plus dense, plus coloré, et surtout de m’interroger sur les différences entre une poésie adulte et une autre dite adolescente. Comme il s’en fait encore peu au Québec, l’idée de défricher ce territoire était pour moi très stimulante. J’en ai d’ailleurs profité pour explorer ce qui se fait à l’étranger, en particulier chez nos voisins américains avec la littérature YA (Young Adult); cette évasion fut des plus rafraîchissantes.
Par ailleurs, ce retour vers la période trouble et intense qu’est l’adolescence fut pour moi l’occasion de remonter à la racine de l’anxiété qui m’habite encore aujourd’hui. Je me suis offert une thérapie, finalement. Ha!
Quel genre d’adolescente étiez-vous? La protagoniste de Kaléidoscope mon cœur vous ressemble-t-elle?
En bonne partie, oui. Disons que la narratrice de Kaléidoscope est un amalgame entre l’enfant et l’adolescente que j’ai été et l’adulte que je suis (dans la «vraie vie», mes séances chez la psy ne sont pas arrivées avant la trentaine, par exemple). Jeune ado, j’étais bel et bien sensible, soucieuse, souvent dans la comparaison ou l’anticipation. Plutôt mal dans ma peau, je manquais d’assurance, tout en étant très désireuse de plaire (un combo assez inconfortable merci). Réservée et rêveuse, je m’inventais en secret des romances dévorantes et de folles escapades autour du monde… Ça a rempli de nombreux journaux intimes, qui contiennent d’ailleurs mes tout premiers poèmes.
Heureusement, j’ai été forcée de développer des outils, et la situation est tout autre aujourd’hui. Bien que l’anxiété fasse toujours partie de ma vie, j’arrive beaucoup plus aisément à conjuguer avec elle. Voyons ça positivement: sans tous ces malaises, je n’aurais ni adopté une posture d’observation, ni appris à mettre des mots sur ce que je vivais. Et je n’aurais sûrement pas autant d’imagination!
Le recueil aborde le sujet très pertinent et, semble-t-il, de plus en plus actuel de l’anxiété chez les adolescents. Pourquoi était-il important pour vous de parler de troubles anxieux?
Pour qu’on se débarrasse de la honte, une bonne fois pour toutes! Parce que même si on en parle plus que jamais, il semble que la vulnérabilité soit encore trop souvent flanquée d’une certaine gêne, ce que je trouve terriblement dévastateur, surtout pour des adultes en devenir. La possibilité d’intercepter cette honte chez l’ado, de lui faire comprendre qu’iel n’est pas seul.e, qu’iel peut exister dans son entièreté et quand même toucher au bonheur, est pour moi infiniment réjouissante. Cet affranchissement, doublé du sentiment d’appartenance si avidement recherché à l’adolescence, peut passer par la littérature. Et changer la donne.
Il semble que la vulnérabilité soit encore trop souvent flanquée d’une certaine gêne, ce que je trouve terriblement dévastateur, surtout pour des adultes en devenir.
Extrait de l’entretien
Qu’est-ce que l’image du kaléidoscope représente pour vous?
Je trouve qu’il s’agit d’un mécanisme efficace pour permettre de comprendre toute la mouvance qui se déploie dans la tête d’une personne aux prises avec l’anxiété. Le foisonnement d’images créées par le kaléidoscope éblouit autant qu’il étourdit; des possibilités, sombres ou lumineuses, se créent à une vitesse folle dans l’esprit des anxieux.ses. Comme le dit la narratrice, «c’est un pouvoir magique / catastrophique».
La rotation nécessaire à la création des motifs du kaléidoscope contribue aussi à illustrer le tourbillon dans lequel est aspiré la personne anxieuse: le passé ressassé, le futur fantasmé, tout ce «tournage en rond» dont on est prisonnier, tout ça provoque le repli, ferme l’horizon. Et les miroirs, nécessaires au reflet des images dans le cylindre, soulignent l’obsession de l’adolescente pour le regard qu’on lui porte, qu’elle porte sur elle-même.
Enfin, je trouvais important d’injecter une dose d’espoir au récit. La lumière au bout du tube, en quelque sorte. Sans lumière, il ne se crée pas d’images.
Livre publié dans la collection « Brise-glace ».