Notre entretien
avec Pierre Nepveu
Dans Géographies du pays proche, votre point de vue est celui d’un «écologiste du réel». Que signifie cette expression?
Cette expression, qui renvoie au titre d’un essai antérieur que j’ai publié en 1988 (L’Écologie du réel), définit un point de vue littéraire sur la réalité, saisissant celle-ci comme une totalité d’éléments interreliés et interdépendants, comme un environnement dans lequel le monde qui nous entoure, que j’appelle aussi le «monde proche», se situe sur un horizon de sens. Il y a un lien avec l’écologie proprement dite, mais sous un angle qui privilégie le langage et en particulier la poésie. Cette perspective privilégie la relation à l’identité, ou plutôt elle présuppose que l’identité se fait dans la relation et dans l’altérité. Je cite dans mon livre le poète et essayiste mexicain Octavio Paz à ce sujet. J’ajouterais que la notion d’écologie du réel va à l’encontre d’une visée introspective ou intimiste : la pensée, l’esprit, les émotions elles-mêmes sont une projection vers le dehors, et c’est justement le travail de la poésie de réaliser au maximum cette projection, cette extériorisation.
La pensée, l’esprit, les émotions elles-mêmes sont une projection vers le dehors, et c’est justement le travail de la poésie de réaliser au maximum cette projection, cette extériorisation.
Extrait de l’entretien
Dans un souci d’inclusion et de diversité, vous proposez une histoire du Québec à travers votre regard de poète. C’est le souci d’inclusion qui fait naître le regard du poète, ou plutôt le regard du poète qui fait naître le souci d’inclusion?
Je crois qu’il y a en moi un souci d’inclusion qui précède la poésie, qui tient à des exigences éthiques venues d’autres expériences de ma vie (par exemple, des contacts importants avec des immigrants, avec d’autres langues, y compris l’anglais). Mon enfance s’est déroulée dans un milieu qui était très sensible à la justice et aux personnes démunies. Cela dit, la poésie a aiguisé mon attention aux petites choses et aux êtres qui m’entourent, elle est devenue un outil me permettant de prendre acte de la diversité du réel, des inégalités sociales, etc. C’est ainsi que j’ai écrit un recueil de poèmes sur l’histoire de l’aéroport de Mirabel, des poèmes sur une femme immigrante, etc. Mon rapport à l’histoire du Québec est très lié à tout cela.
Vous êtes convaincu que ceux qui connaissent le territoire québécois ont une plus forte conscience citoyenne. Quels liens faites-vous entre géographie et politique?
Je crois que c’est un lien souvent sous-estimé, au profit d’une vision essentiellement historique de ce que nous sommes. Par «géographie», je ne songe pas seulement aux grands paysages ou aux régions souvent emblématiques du Québec (par exemple la Gaspésie, Charlevoix, le Nord), mais je pense à l’ensemble du territoire à partir du plus proche (la maison, le voisinage, l’aménagement urbain et celui du monde agricole, le rapport au monde forestier, au Nord, etc.). Le terme environnement, qui est devenu si important dans la perspective écologiste, rend bien compte de cette géographie conçue comme une totalité incluant les humains et la nature, autant que les modifications que nous apportons à celle-ci. En ce sens, la géographie dont je parle est foncièrement politique, c’est le territoire dans toutes ses dimensions en tant que monde habité par des citoyens, conscients de leur espace et des relations qu’ils entretiennent entre eux et de certaines valeurs qu’ils comptent partager ou dont ils veulent débattre. L’éveil culturel et identitaire des communautés autochtones rend encore plus évidente la relation entre la géographie et le politique, et j’évoque cette dimension majeure dans mon essai. Il faut ajouter que la nation québécoise a l’avantage de disposer d’un territoire défini, régi par des règles politiques et certaines valeurs partagées, ce qui n’est pas le cas de toutes les nations, loin de là. Il y a là un facteur unifiant mais, en même temps, toute conscience du territoire ne peut que nous rendre davantage conscients de la grande diversité des Québécois, et cela, pas seulement au sens d’une diversité ethnique! Le territoire, la géographie déterminent nécessairement une vision pluraliste du Québec, et ce pluralisme est de mon point de vue essentiel pour penser notre communauté politique.
La géographie dont je parle est foncièrement politique, c’est le territoire dans toutes ses dimensions en tant que monde habité par des citoyens.
Extrait du livre
Livre publié dans la collection « Papiers collés ».