Jack KerouacLa vie est d’hommage

Quand le romancier phare de la Beat Generation écrivait
dans sa langue maternelle: le français.

Extrait

Rassemblés par Jean-Christophe Cloutier, professeur agrégé de littérature anglaise à la University of Pennsylvania, ces textes inédits révèlent l’extraordinaire sensibilité de Kerouac dans sa langue maternelle, de laquelle l’auteur tirait son style unique.

J’ai pas aimé ma vie. C’est pas la faute a personne, c’ainque moi. Je voué ainque la tristesse tout partout. Bien des foi quand y’a bien du monde qui ri moi j’wé pas rien droll. C’est encore bien plus droll quand ils sont toute triste ensemble. J’gard leu face hypocrite et puis j’sai qui’l s’trouble pas apropos d’la tristesse. Ils peuve pas l’usé. Ils save toute cosse qu’on a dit dans la Bible: «Vous ne savez seulement pas que vous ête wretched, et misérable, et pauvre, et aveugle, et tout nud». Ques-ce qu’il von faire avec ça? Moi j’use ma tristesse—et c’est la tristesse d’un vieu chien avec des gros yeux mouiller—pour passer mon temps penser. C’est comme ça j’comprend vivre. C’est ma manière. Sh’u fatiguer. Je sais seulement pas comment m’expliquer sans mentir un peu. Mai j’necrirai pas si j’aimra pas mon prochain diner, i.e., la vie.

Ma mère m’a dit que le jour que je suis mis-au-monde a 5 heur d’apremidi du moi Marse, y’avai un lumiere comme le sang roûge dans l’aire et la neige fondais tout partout. J’me semble que j’men rappele ce jour la. A toute les foi que j’voué le soleil rouge dans un apre-midi tard on dira que je voué toutes ma vie.

Je suis Canadien Francais, m’nu au-monde a New England. Quand j’fâcher j’sacre souvent en Francais. Quand j’reve j’reve souvent en Francais. Quand je brauille j’brauille toujours en Francais; et j’dit: «J’aime pas ca, j’aime pas ca!» C’est ma vie dans le monde que j’veu pas. Mais j’lai. J’t encore curieux, j’ai toujours faim, ma sante est excellente, j’aime ma petite femme, j’ai pas peur de marché loin, j’ai seulement pas peure de travaillez fort d’abord j’ai pas besoin d’travaillez 60 heure par semaine. Sh’pa capable m’levéz le matin mais quand il faut j’m’leve. J’capable travaillez 40 heure par semaine si j’aime l’ouvrage. Si j’l’aime pas, j’quit.

Ma famille et mes femmes m’on toujours aidé. Sans eux-autres, j’pense j’arai teudbien mouru dans la neige a quit-part—teudbien oui, teudbien non. J’ai jamais vecu seule pour longtemps. J’rêve. Un bon jour je serait un homme comme les autres. Aujourdhu sh’tun enfant et je’ll sai et je passe mon temps pensée. Sh’supposé d’etre un écrivain. J’ai publié un livre, j’ai reçu $ 1900.00 pour 4 ans d’ouvrage sur cette livre. Avant ça j’ai passé 10 ans écrire des autres chauses que j’etai jamas capable de vendre. C’est possible qu’un jour, quand je serai partit l’autre bord de la noirçeur pour rêvez éternellement; c’est chause la, des histoires, des scénes, des notes, une douzaine romans impossibles, a moitier fini, seront publieé et quel’qu’un va collecté l’argent qu’etait supposer d’venir a moi. Mais ça c’est si j’t’un grand écrivan avant j’meure.


Quand j’fâcher j’sacre souvent en Francais. Quand j’reve j’reve souvent en Francais. Quand je brauille j’brauille toujours en Francais.

Extrait du livre


J’ai rêvez trop longtemps que j’etait un grand écrivain. J’appri ça dans les livres. Y’avait un temps que j’pensais chaque mot que j’ecrirai etait immortelle. J’embarqua ça avec un gros coeur romantique. Ça c’est possible dans les jeunes. D’abords j’ai usé des grand mot «fancy», des grosses formes, des «styles» qui avait rien a faire avec moi. Quand j’étais un enfant a Nouvelle Angleterre j’mangai mon super s’a table et j’m’essuiai la guele avec la ginille1 de vessele—finis, et j’sortait. Pourquoi les grand mots, les gros lyriques, pour exprimé la vie?

Oui, j’ai dormi entour les arbres de pommes pareil comme Shakespeare.

J’ai jamais eu une langue a moi-même. Le Francais patoi j’usqua-six angts, et après ça l’Anglais des gas du coin. Et après ça—les grosses formes, les grands expressions, de poète, philosophe, prophète. Avec toute ça aujourd’hui j’toute melangé dans ma gum.

J’use le mot ‘travaux’ pour exprimer les ‘jobs’ et les voyages qu’il etait necessaire de faire quand j’etait pas chez nous assi sur mon derriere penseé apropos de’la tristesse de la vie.


Textes établis et présentés par Jean-Christophe Cloutier.
Livre publié dans la collection « Boréal compact ».