Patrice GroulxFrançois-Xavier Garneau

Dans un style limpide et rythmé, le récit d’une société à travers la figure de son premier historien national.

Notre entretien
avec Patrice Groulx

Pour les historiens et les historiennes, le nom de François-Xavier Garneau est familier. Mais que sait-on vraiment de l’homme en tant qu’historien, de ses réseaux, de ses conditions matérielles, de ses influences et de la réception de ses œuvres?

Le nom de l’historien est beaucoup plus connu que son œuvre, laquelle comprend non seulement la première histoire du Canada moderne, mais aussi des poèmes, un récit de voyage et un manuel scolaire d’histoire. Quant aux détails de sa vie, c’est la disette. Les cinq ou six principales biographies de Garneau s’arrêtent au seuil de son intimité. Pourtant, sa correspondance, ses papiers personnels de même que ses traces dans les journaux et dans les archives notariales et municipales sont accessibles.

Pour un historien, aborder la vie de Garneau présente plusieurs défis. L’Histoire du Canada, à cause de sa densité, de son évolution et de ses renvois à l’historiographie de l’Europe et de l’Amérique, est un monument impressionnant dont on n’a pas encore fait le tour de manière exhaustive. Pourquoi alors s’attarderait-on à son auteur, un homme plutôt effacé? De surcroît, la renommée de ce livre, dont le premier tome paraît en 1845, a été sapée par l’idée que l’autodidaxie de Garneau, qui n’a pas fréquenté de collège classique, a entaché ses jugements. J’ai voulu montrer qu’au contraire la biographie de l’auteur donne des clés d’interprétation de son livre phare. Pourquoi et comment écrit-on la première histoire nationale dans les circonstances de l’Union des deux Canadas (1840), désastreuses pour les francophones? Comment cette histoire s’est-elle imposée dans le discours social?

La correspondance privée de Garneau révèle un penseur tracassé par des soucis d’argent, à la recherche d’appuis pour la diffusion de ses livres, un travailleur acharné miné par les veilles, un patriote soucieux de défendre la mémoire collective de sa petite nation malmenée, et un érudit lié à un réseau national et international de chercheurs. Les registres des bibliothèques montrent que Garneau a dévoré des centaines de livres et de périodiques écrits par les meilleures plumes, en particulier des œuvres romantiques contemporaines, des histoires érudites, des ouvrages philosophiques, des romans ainsi que des pièces de théâtre et des recueils de poésie.

Cette biographie ne s’adresse pas qu’aux historiens. Avec un sens certain du récit, vous placez l’individu parmi les siens. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la vie personnelle de Garneau et sur sa vie familiale?

Garneau interagit avec sa famille, son entourage professionnel, son public lecteur, son environnement urbain. Sa santé est chancelante, puisqu’il est épileptique. Son identité sociale, ethnique et religieuse ainsi que son désir d’ascension sociale sont contrecarrés par le choix de se consacrer corps et âme à une discipline embryonnaire et mal vue des autorités : l’histoire nationale. Il fait un mariage d’amour, et non d’argent. Sa conjointe, Esther Bilodeau, est issue comme lui d’une famille de cultivateurs. Ensemble, ils ont neuf enfants dont quatre seulement, trois garçons et une fille, atteindront l’âge adulte. Garneau rêve pour eux d’une vie honorable agrémentée par les arts et la littérature, comme il l’écrit dans son poème « À mon fils » en 1838.

J’ai conçu ce livre en pensant au public amateur de biographies. Les libraires savent qu’il s’agit d’une niche particulière et lui consacrent souvent une place distincte dans leurs rayons. On y trouve de tout, mais qu’on se rassure, cette biographie-ci est encadrée par les mêmes formes de questionnement, elle est élaborée par les mêmes sources que les ouvrages d’histoire les mieux étayés. Je ne propose pas un Garneau imaginaire, mais je n’ai pas boudé le plaisir de raconter une vie, de relever le récit par des descriptions. Lorsque la documentation laissait de trop grands vides, j’ai reconstitué des scènes et introduit des sentiments tout à fait vraisemblables, sachant ce que Garneau lui-même a révélé dans ses poèmes, ses lettres et ses confidences. Contrairement aux biographies romancées, celle-ci ne contient aucun dialogue inventé.


La correspondance privée de Garneau révèle un penseur tracassé par des soucis d’argent, à la recherche d’appuis pour la diffusion de ses livres, un travailleur acharné miné par les veilles, un patriote soucieux de défendre la mémoire collective de sa petite nation malmenée, et un érudit lié à un réseau national et international de chercheurs.

Extrait de l’entretien


Vous abordez aussi, plus largement, la société dans laquelle il évolue. Pouvez-vous nous dire ce que les passionnés d’histoire pourront apprendre sur la vie à Québec au XIXe siècle?

Dans l’approche biographique, le personnage vedette donne accès aux réalités sociopolitiques. Pour comprendre les paroles et les actes de Garneau, j’ai reconstitué plusieurs débats et événements auxquels il a réagi. Lui-même a passé presque toute sa vie dans un rayon de cinq cents mètres au cœur géographique d’une capitale parlementaire, militaire et cléricale. Greffier de la municipalité, il a été partie prenante du pouvoir local. Garneau ressentait le pouls de sa ville, ses épreuves comme les grands incendies et les épidémies, ses soubresauts politiques et économiques. Il a vu de près la radicalisation du mouvement national et sa répression brutale. Il a fréquenté les principaux acteurs de ces drames, et a personnellement contribué à l’effervescence culturelle des décennies 1840 à 1860 ainsi qu’au relèvement de ses compatriotes.


Je ne propose pas un Garneau imaginaire, mais je n’ai pas boudé le plaisir de raconter une vie, de relever le récit par des descriptions.

Extrait de l’entretien