Marie-France BazzoNous méritons mieux

Plaidoyer pour la discordance et l’excellence dans les médias.

Extrait

C’est l’essai d’une femme qui s’est offert un cadeau: celui de parler vrai, de parler en toute liberté de son métier d’animatrice et de productrice. En voici un extrait.


Curieux comment tous ceux qui courtisent, tètent, minouchent les GENS, y compris ceux qui s’en moquent sur les réseaux sociaux, se positionnent. Ils et elles se placent ailleurs, généralement au-dessus des gens. Ils ne s’y incluent pas. Voyons donc ! Les GENS, ça se lève à 4 h 45 pour se retrouver pris dans la circulation à 5 h 30 sur le pont de l’Île-aux-Tourtes. Les GENS, ça regarde Occupation double. Pas moi. #LesGens.

La lutte des classes s’est menée jadis avec des vocables, des mots, des expressions, des concepts maintenant désuets. Aujourd’hui, la lutte des bienpensants contre les déviants de la pensée se joue toujours au niveau du vocabulaire, mais celui-ci a changé. Des mots-valises et des mots très acérés, des expressions précises et connotées déterminent de quel côté de la barrière on se situe. Des mots tranchants, barbelés, claquent comme des interdits, des injonctions à bien se comporter. De vivre-ensemble à cisgenre, de racisé à malentendant. Et traînent parmi eux quelques termes flous qui contiennent tout et son contraire et qui sont des aimants à idéologues. GENS en fait partie.

Les GENS, c’est un moyen de travestir la réalité, de créer une apparence de communauté alors qu’aujourd’hui les identités se vivent en silo et souvent s’excluent mutuellement. Surtout, ce qui agace avec les GENS, c’est la passivité à laquelle on les associe, inconsciemment ou non. Des électeurs, des citoyens, des consommateurs, ça agit, ça prend des décisions. Ça a une prise sur la société. Les GENS sont plutôt un troupeau dont il faut vaguement se soucier, qu’il faut flatter régulièrement. Rien de très dynamique.


Les GENS, c’est un moyen de travestir la réalité, de créer une apparence de communauté alors qu’aujourd’hui les identités se vivent en silo et souvent s’excluent mutuellement

Extrait du livre


Je me prends à imaginer qu’un jour, peut-être, les gens en auront marre. Qu’ils se tanneront de ce mépris dans lequel on les maintient, de cette condescendance avec laquelle on les toise. Il faudrait d’abord que la majorité silencieuse cesse de l’être. Qu’elle s’exprime autrement que par un vote tous les quatre ans. Qu’elle fasse savoir, quand on parle médias, son ras-le-bol autrement qu’en se désabonnant du câble. Je rêve d’un hashtag #JaiLeDroitAuMeilleurEnTélé où, jour après jour, les téléspectateurs exprimeraient leurs attentes et leurs envies. Ça finirait par devenir gênant pour les directeurs de réseaux de proposer sans cesse les sempiternelles programmations molles avec les mêmes vedettes interchangeables. Et ce qui vaut pour la télé vaut pour les médias et pour la société en général.

Ces derniers mois, cette dernière année, le corps social s’est exprimé vivement dans plusieurs pays qui ont pourtant peu en commun, de la France au Chili, en passant par Hong Kong. Les gens, le monde ordinaire ont pris les rues d’assaut, exprimant un mal-être qui dépassait une revendication précise et ponctuelle.

Il y a chez les GENS une lucidité qui s’exprime démocratiquement, mais avec pugnacité et ferveur quand on abuse de leur bonne foi. En ce sens, la placidité des Québécois me surprend toujours. Sommes-nous plus amorphes que les autres nations ? Notre sens collectif de l’indignation s’est-il émoussé dans le confort et l’indifférence ? Je nous voudrais parfois plus musclés. Est-ce le gavage télévisuel qui nous a rendus si mous ?