Louise DesjardinsLa Fille de la famille

L’histoire d’une battante qui répond à l’appel de la liberté.

Notre entretien
avec Louise Desjardins

La Fille de la famille puise dans votre histoire familiale, mais vous avez explicitement fait le choix du roman, de la fiction. Parlez-nous de l’importance de ce choix.

En écrivant les cinquante premières pages, j’étais dans une sorte de no man’s land. Je me demandais constamment ce que j’étais en train de faire. Des fragments, des nouvelles, des récits? Puis, avec un peu de recul, je me suis rendu compte que ces petites histoires avaient un rythme, un lien entre elles, et qu’une trame de roman se dessinait. Je ne voulais surtout pas que ce livre prenne l’allure d’une autobiographie, parce que je souhaitais garder une part de liberté en racontant ces souvenirs de mon enfance, de mon adolescence et de ma vie de jeune adulte. Ces histoires personnelles et celles de personnes qui m’ont entourée (on n’est jamais seul!) m’échappaient de plus en plus, rejoignant davantage le domaine de la fiction. Quand on ne nomme personne, l’espace de l’imaginaire s’ouvre davantage, se libère des contraintes de l’autobiographie, n’est plus en étroite conformité avec les souvenirs. S’installe alors un deuxième niveau, celui que tissent les mots, celui qui fait vivre la narration. D’ailleurs, comme le dit si bien Enrique Vila-Matas, dès qu’un souvenir est raconté, il entre dans la fiction.

En vous tournant vers le passé pour composer votre roman, avez-vous senti le souvenir se transformer en nostalgie?

Au contraire, je dirais que je me suis libérée de certains souvenirs plus ou moins intéressants de ma vie. En écrivant ces récits, j’étais plutôt fascinée par la distance parcourue quant à l’apport des femmes sur le marché du travail et à la libération des diktats de la religion dans la vie intime des gens. Par ailleurs, je vois qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour que les rapports hommes-femmes soient respectueux et égalitaires. Le discours sur l’avortement et la liberté sexuelle s’insinue de plus en plus dans la politique de la droite conservatrice.

La seule nostalgie que j’éprouve se déploie paradoxalement dans l’avenir. Cette pandémie et mon âge qui avance me permettront-ils de voir la vie vivre, de la raconter encore et encore?


Je ne voulais surtout pas que ce livre prenne l’allure d’une autobiographie, parce que je souhaitais garder une part de liberté en racontant ces souvenirs de mon enfance, de mon adolescence et de ma vie de jeune adulte.

Extrait de l’entretien


Vous faites l’histoire d’une émancipation féminine sans toutefois céder au règlement de comptes. Comment avez-vous évité cet écueil?

Dans mes romans, je ne méprise personne. J’écris à partir de questions que je me pose en essayant de comprendre au lieu de juger. La littérature n’est-elle pas une entreprise d’empathie? Je n’ai aucune animosité envers les gens qui m’ont entourée. Ils étaient guidés sans doute par les croyances de la société dans laquelle ils vivaient, ils agissaient de bonne foi avec le bagage reçu dans leur propre enfance. Par ailleurs, pendant que je les côtoyais, j’ai pu apprendre énormément de choses sur moi-même, me façonner, me rebeller, devenir celle que je suis devenue, c’est-à-dire une femme qui a la chance d’exercer son métier, ce qui est rare.


C’est une histoire intime, mais c’est aussi une histoire collective de la femme. Quel regard jetez-vous sur cette histoire collective maintenant que le roman est achevé?

Au moment où j’écrivais ce roman, je n’étais pas tellement consciente du fait que l’histoire de la petite Suffragette pouvait rejoindre autant de femmes (et même autant d’hommes). Je pense à rebours que le fait d’être allée très loin dans ce que j’ai de plus intime a permis que je rejoigne les lecteurs là où les vraies rencontres ont lieu.

Cette histoire collective, qui peut paraître lointaine dans le temps et dans l’espace, semble avoir des résonnances inattendues dans le contexte des revendications actuelles.


Ma mère vient de comprendre. C’est vrai que tu sortais encore avec ton Juif même si on te l’avait interdit ? Oui, m’man, je le voyais en cachette, j’allais au Paris Café avec lui, pis on frenchait, pis fichez-moi la paix.

Extrait du livre