Alexandre PoulinUn désir d’achèvement

Un millénial à la rencontre de son héritage politique.

Notre entretien
avec Alexandre Poulin

Votre livre s’ouvre sur le récit de la découverte de votre identité politique.

J’ai découvert mon appartenance à la société québécoise lors du printemps érable de 2012. En plus d’avoir coïncidé avec mes dix-huit ans, cette période m’a donné le goût du Québec pour la première fois ; elle m’a également donné envie de sortir du stade de la minorité pour rejoindre celui de la majorité. Mon pays, jusque-là, était celui de l’enfance. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réfléchir à la question du Québec, bien que mes réflexions fussent embryonnaires. À l’époque, je fréquentais le cégep Beauce-Appalaches, situé à Saint-Georges. Avec le cégep de Thetford, c’était celui où la présence des « carrés verts » était la plus forte. J’avais envie de rejoindre le reste du Québec et d’embrasser le même projet que mes jeunes concitoyens. En 2012, j’ai découvert, il est vrai, mon identité politique mais plus largement mon identité tout court. Je n’avais aucune idée, alors, que celle-ci était faite de multiples empêchements qui se sont cristallisés dans l’être collectif à la suite d’échecs répétés. Une conviction m’habite : ma génération est la dernière à pouvoir faire aboutir le projet politique que nos prédécesseurs ont caressé.

 

Le Québec, dites-vous, a une tendance tenace à la répétition. À quoi reconnaissez-vous ce phénomène?

Chaque échec politique produit des effets délétères sur l’identité collective et fait renaître une déformation du rapport à soi. L’inachèvement du projet des Patriotes a conduit à la mise en minorité politique des Canadiens français avec l’Acte d’Union de 1840. L’idéologie de conservation est née et consistait simplement à faire durer la collectivité, repliée sur ses attributs culturels, durant un hiver d’environ cent ans. Malgré l’incapacité politique de la société canadienne-française, qui s’est néanmoins vu doter des pouvoirs de la reproduction sociale avec la création de la fédération canadienne en 1867, les élites cléricales ont entretenu et propagé une vision messianique de leur peuple. Certains ont parlé de la « vocation surnaturelle » de la « race » (disait-on à l’époque) française en Amérique. En tant que peuple élu, le peuple canadien-français devait évangéliser l’Amérique anglo-saxonne, matérialiste et consumériste et y répandre sa supériorité dans le domaine des lettres et des arts. Ce discours de la grandeur avait cependant peu à voir avec les données concrètes de la réalité politique et économique : il fallait compenser les pertes politiques par les fantasmes de l’imaginaire. Aujourd’hui, malgré l’échec du deuxième référendum sur la souveraineté, le Québec est présenté comme un paradis terrestre sur le plan social, une petite république athénienne pour ce qui est de la culture et des arts, un sauveur en matière d’environnement. Que cherche à compenser ce discours, sinon l’inquiétant rapetissement politique de la société québécoise depuis 1995?

Parallèlement, le premier ministre François Legault promeut la nationalité par l’entremise de l’économie. Pour lui, l’épanouissement de la nation passe désormais par la conservation de la culture et par l’enrichissement collectif, alors qu’il avait auparavant une conception politique de la nation. Celle-ci devait s’allier à la liberté politique. Le journaliste Étienne Parent (1802-1874) avait opéré une conversion semblable en son temps. Après l’échec du projet politique des Patriotes, auquel il avait adhéré, il s’est replié sur une définition culturelle de la nation. Comme le fait notre « premier ministre économique » d’aujourd’hui, Parent réfléchissait hier à l’industrie comme moyen de défendre notre nationalité.

Enfin, les intellectuels et les politiques d’ici semblent incapables d’appréhender l’avenir comme un temps qui pourrait être différent du passé. Certains écrivains, après avoir chéri la Révolution tranquille, veulent retourner au Canada français. À gauche comme à droite, d’autres veulent amorcer une deuxième Révolution tranquille; un député actuel de la Coalition avenir Québec, le sociologue Jean-François Simard, aurait même détecté récemment une « révolution sourde ». Vouloir amorcer une deuxième Révolution tranquille, n’est-ce pas avouer que la première a échoué? Cela pose aussi la question de l’intemporalité de la condition québécoise. Notre imaginaire suggère que nous ne sommes pas tout à fait dans l’histoire.


Aujourd’hui, malgré l’échec du deuxième référendum sur la souveraineté, le Québec est présenté comme un paradis terrestre sur le plan social, une petite république athénienne pour ce qui est de la culture et des arts, un sauveur en matière d’environnement. Que cherche à compenser ce discours, sinon l’inquiétant rapetissement politique de la société québécoise depuis 1995?

Extrait de l’entretien


Qu’est-ce que cela signifie d’être un héritier politique au Québec?

Être héritier politique, c’est, concernant certaines parties de l’histoire nationale, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ou, pour reprendre le mot de René Lévesque au sujet du duplessisme, savoir « séparer l’ivraie du bon grain ». C’est accepter le parcours collectif en ce qu’il est une accumulation de sens. C’est considérer la nation francophone au Québec comme une entité inachevée, fragile et qui mérite, comme un enfant, qu’on la conduise vers sa maturité. Être héritier politique, c’est savoir que le premier critère de sa nation est la mémoire et qu’une langue, à elle seule, ne différencie pas tout à fait une nation d’une autre. L’héritage dont je me réclame ne m’a pas été donné en dépôt sacré: je suis allé à sa rencontre.