Cherie DimalineRougarou

La fureur d’une femme métisse qui refuse d’abandonner ses terres et les siens.

Notre entretien
avec Cherie Dimaline

Qu’est-ce qu’un rougarou? Quelle place occupe-t-il dans la culture métisse?

Le rougarou est une créature étrange, tantôt bienveillante, tantôt malveillante, et il est toujours difficile de décider de quel côté il penche. Dans ma communauté, c’est un homme qui prend la forme d’un gigantesque chien noir et qui se dresse sur ses pattes de derrière pour filer comme le vent. Mais c’est une créature réversible: il peut également adopter des traits humains en dissimulant la bête qui se cache en lui. Le rougarou hante les routes et, quand j’étais jeune, il servait surtout à dissuader les jeunes personnes, surtout si elles s’identifiaient au sexe féminin, de voyager seules ou de se rendre en ville, où c’est particulièrement dangereux pour les femmes autochtones. Les histoires de rougarou sont aussi présentes dans les communautés métis de l’Ouest canadien et chez les Cajuns de la Louisiane.

Parlez-nous de Joan. Qui est-elle et quelle est sa quête?

Joan est une femme magnifique et blessée par la vie qui écoute ce que son cœur lui dicte. Le grand amour de sa vie, son mari Victor, a disparu mais elle refuse de se résoudre à ce qu’il l’ait abandonnée. Même si tout porte à croire qu’il ne lui reviendra jamais, elle est convaincue du contraire. L’autre aspect de sa quête, c’est son retour dans sa communauté. Pendant des années, elle s’est cherchée hors de sa terre d’origine, mais il est temps de rentrer, surtout si elle veut combattre le rougarou.


Les histoires mettant en scène le rougarou empêchaient la communauté de rompre son cercle, de dépasser les bornes. Quand les gens oubliaient ce qu’ils avaient souhaité au départ – un endroit où habiter, une communauté épanouie –, lui s’en souvenait et, à pas feutrés, il revenait la nuit, aussi léger que de la poussière d’étoiles, sur la route asphaltée depuis peu. Et le rougarou, le cœur rempli de ses propres légendes mais le ventre vide, réapparaissait pour hanter ses terres. Mais aussi pour chasser.

Extrait du livre


Rougarou est une histoire d’amour et un thriller littéraire, mais c’est aussi un roman politique. L’arrachement des Premières Nations à leurs territoires, la religion comme instrument de manipulation et le pouvoir des grandes entreprises forment une sorte de force triangulaire néfaste. À quel point ces questions sont-elles importantes pour les Métis de la baie Georgienne?

Ces enjeux sont toujours au cœur des histoires que je raconte. Comment pourrait-il en être autrement, alors que la colonisation de nos terres se poursuit? Comme écrivaine, je ne pourrais inventer rien d’aussi insidieux que cette vérité de la colonisation que nous affrontons chaque jour. Intégrer ces enjeux politiques à la fiction plutôt que d’intervenir dans le débat public me semble une stratégie plus efficace pour que le lecteur comprenne, pour qu’il en fasse l’expérience, pour ainsi dire. Dans une fiction, on accompagne les personnages, on voit ce qu’ils voient, on ressent leurs émotions, si bien que c’est plus difficile de faire l’impasse sur ce qui les oppresse, sur ce qui fait d’eux des proies.


Votre roman précédent, Pilleurs de rêves, était un roman pour adolescents. Comment c’était d’écrire à nouveau pour les adultes?

Génial! Je n’avais pas la hantise de corrompre la jeunesse avec des scènes de sexe et de désir. Pilleurs de rêves a fini par transcender les frontières entre les âges. À dire vrai, la seule raison pour laquelle le roman est d’abord destiné à un public plus jeune, c’est parce que c’est bourré d’émotions et que le rythme est enfiévré, à l’image des adolescents. Je n’ai pas « abêti » le texte. Ce n’était pas nécessaire. Les adolescents sont fûtés, on ne peut pas tricher avec eux. Je ne me suis pas non plus privée de montrer les aspects plus sombres de l’histoire.


Entretien traduit de l’anglais (Canada).
Livre traduit de l’anglais (Canada) par Lori-Saint-Martin et Paul Gagné.