Fred GoodmanEnvoûtante Lhasa

En quête de Lhasa de Sela.

Notre entretien
avec Fred Goodman

Comment avez-vous découvert Lhasa de Sela?

Lhasa est à peu près inconnue aux États-Unis. Je l’ai entendue chanter pour la première fois une semaine après sa mort, sur les ondes d’une radio de New York, WBAI. C’était la chanson « Anywhere on This Road » et j’ai été stupéfait. Quelle ardeur! Je me suis dit: « Comment se fait-il que je ne l’aie jamais entendue avant? Elle est merveilleuse, totalement unique. »

À propos de l’enfance de Lhasa, vous écrivez: « Tout ce que Lhasa apprenait au sujet de ses nouveaux camarades de classe lui montrait qu’elle avait été placée sur un chemin distinct du leur. » C’est comme si le noyau dur de sa musique s’était formé à ce moment-là, n’est-ce pas?

Assurément le noyau émotionnel de sa musique! Lhasa vient d’une famille non conventionnelle, complexe et passionnée. Une famille avec une vision atypique et  progressiste par rapport à ce qui compte dans la vie. Une famille dans laquelle on rit plus fort et on souffre davantage que dans les autres. Ça laisse des traces pour toujours et ça pousse à être honnête avec soi-même. Lhasa était très sérieuse dans la pratique de son art, elle avait une éthique de travail irréprochable. C’est aussi dans son enfance que s’est forgé son côté outsider. Je pense qu’elle percevait plusieurs de ses semblables comme des somnambules ou des personnes éteintes. Aussi ses chansons opposent-elles une résistance à celles et ceux qui poursuivent leur vie sans but précis. Quand vous écoutez Lhasa, vous écoutez QUELQU’UN.


Comment décririez-vous le rapport entre sa « quête intérieure » comme personne et comme artiste et l’idée de poursuivre une carrière?

Sa carrière consistait précisément à partager sa « quête intérieure ». C’est vrai pour ses albums, mais aussi pour ses concerts. Comme le faisait remarquer un de ses amis: « Ce n’était pas seulement un concert, c’était une immersion dans son monde. » Sa quête intérieure ne l’a pas amenée à se refermer sur elle-même. Sa sensibilité, la profondeur de sa pensée l’ont plutôt dirigée vers l’empathie. Et cette empathie faisait partie de sa magie. Lhasa était plus intéressée par les questions que par les réponses. Elle espérait que sa musique serait une force apaisante et guérissante.


Sa quête intérieure ne l’a pas amenée à se refermer sur elle-même. Sa sensibilité, la profondeur de sa pensée l’ont plutôt dirigée vers l’empathie.

Extrait de l’entretien


Comment décririez-vous la musique de Lhasa? Quel héritage laisse-t-elle?

Même si ses chansons sont imprégnées de tristesse, c’est une romantique et une optimiste. Ça se voit très clairement dans ses choix musicaux: elle navigue entre plusieurs traditions à la recherche de sons purs et généreux qui résonnent au-delà des mots. Elle avait beaucoup de goût et savait intuitivement ce qui est bon et vrai en musique. C’est l’une des raisons qui expliquent qu’elle ait pu rejoindre des amateurs de musique dans différents coins de la planète. Oreilles et bras grand ouverts, c’était une citoyenne du monde.


Qu’avez-vous découvert sur Montréal et la culture québécoise à travers l’écriture de cette biographie?

Le romancier Robertson Davies décrivait le Canada aux Américains en disant que c’était « la sœur qui est restée à la maison », c’est-à-dire celle qui n’a pas rompu avec l’Angleterre. Davies venait de l’Ontario, pas du Québec, qui est une sœur très différente! Même si je me sens bien accueilli partout au Canada, le Québec sera toujours la sœur avec laquelle j’ai envie de danser. Lhasa n’aurait pas pu devenir ailleurs l’artiste qu’elle était à Montréal: la rencontre des cultures, le cosmopolitisme, l’ouverture intellectuelle et artistique, ses rues animées. Si le souffle de la vie lui vient de sa famille, Montréal lui a permis de respirer au grand air comme aucune autre ville nord-américaine. Je suis un New-Yorkais de longue date qui ne quitte pas sa ville sans hésitation (on me décrit comme l’un de ceux prêts à faire demi-tour au milieu du pont George-Washington!), mais je peux dire que la musique de Montréal, comme celle de Lhasa, résonne à mes oreilles.

Entretien traduit de l’anglais (États-Unis).
Photographie: Lhasa, vêtue d’une nouvelle robe, au parc à roulottes Hacienda de Guadalajara en 1980. Source: un ami d’Elena Karam, la grand-mère de Lhasa.