Notre entretien
avec l’auteur
Vous décrivez une famille très contemporaine en laquelle tout le monde peut se reconnaître aisément. Elle est formée de trois membres : Sophie, la mère, Benoît, le père, et Tom, le fils. En quoi trouvez-vous qu’on puisse qualifier chacun d’eux de « grande personne »?
« Les grandes personnes », c’est la manière dont on nomme les adultes lorsqu’on s’adresse à un enfant. On lui demande d’ailleurs souvent ce qu’il aimerait être « quand il sera grand ». Par cette locution, j’ai l’impression qu’on cherche à délimiter ce qui relève de l’enfance et de la vie adulte, comme s’il s’agissait de deux mondes séparés, mais où se situe la ligne entre les deux? Quand et comment devenons-nous de « grandes personnes » et, par le fait même, quand cessons-nous d’être des enfants? Les trois personnages de mon roman sont en quelque sorte prisonniers entre ces deux états, dans une tension entre l’enfance et la vie adulte. Cette tension prend forme différemment pour chacun, la rigidité de la nage et la souplesse de l’eau pour Sophie, la logique des chiffres et le chaos du monde pour Benoit, la discipline de l’école et le laisser-aller du jeu pour Tom. Aucun n’arrive à céder complètement à l’un ou à l’autre, aucun n’arrive au fond à assumer totalement l’idée d’être « une grande personne ».
L’amour qui unit vos trois personnages est palpable, mais ils semblent incapables de se venir mutuellement en aide malgré toute leur bonne volonté. Pourquoi?
Comment communiquer ce que l’on ne comprend pas? Le silence entre Tom, Benoit et Sophie n’est pas celui du secret ou du mensonge, rien n’est délibérément caché, les trois personnages ne sont simplement pas en mesure de nommer l’inconfort qui les habite. Il y a chez eux un désir d’aller vers l’autre, d’offrir une aide ou un réconfort, mais chacun semble faire face à une impasse, un blocage. Ce qu’ils vivent peut difficilement se résumer ou même s’expliquer. On pourrait parler de « crise existentielle », mais l’expression est chargée de clichés, au point de la rendre ridicule, et bien qu’elle puisse donner une idée de ce qui se passe dans la tête de ces trois personnages, elle reste imprécise. Face à nos drames intérieurs, les mots sont souvent insuffisants et rendent difficilement compte de l’expérience intime, personnelle. Je crois tout de même que Tom, Sophie et Benoit arrivent à communiquer autrement que par la parole, à se dire des choses peut-être plus vraies et importantes que celles que l’on répète au quotidien. J’aimais l’idée d’une famille, d’un couple où l’amour ne se présente pas dans ce qu’il a de plus évident, qu’il soit révélé à travers le silence et l’incompréhension.
Comment communiquer ce que l’on ne comprend pas? Le silence entre Tom, Benoit et Sophie n’est pas celui du secret ou du mensonge, rien n’est délibérément caché, les trois personnages ne sont simplement pas en mesure de nommer l’inconfort qui les habite.
Extrait de l’entretien
Tom est fasciné par les écrans et toutes les interconnectivités qu’ils permettent. Est-ce un atout ou un fardeau pour lui, qui se révèle être un enfant surdoué?
Les écrans offrent à Tom une mer d’information, c’est une source très riche pour son esprit curieux, en plein développement, mais c’est un couteau à double tranchant. Au-delà du risque d’être en contact avec de « fausses nouvelles », du contenu violent ou pornographique, au-delà des enjeux de socialisation qu’entraîne l’utilisation continue des écrans par les plus jeunes, un accès instantané à l’information peut avoir pour conséquence d’agir comme un frein à l’imagination, et par le fait même, à l’enfance. Que reste-t-il à imaginer lorsqu’on peut avoir réponse à tout du bout des doigts? D’une certaine manière, Tom doit réapprendre à être ce qu’il est, un enfant, à ne plus observer le monde qui l’entoure, ne plus l’analyser, mais à y prendre part. Il doit donc aller à l’encontre de ce qu’on lui a imposé par ce parcours de surdoué, cette structure qui vise à faire de lui un adulte avant l’âge, cette école qui cherche à cristalliser son avenir avant même qu’il soit en mesure de le concevoir.