Frédéric BastienLa Bataille de Londres

Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel.

Extrait de la préface
de Patrick Taillon

Avec La Bataille de Londres, Frédéric Bastien affiche l’étendue de ses talents. Après tout, la rigueur du docteur, enseignant et chercheur en histoire n’aurait été que de peu d’utilité si elle ne s’était accompagnée d’une détermination et d’une force de caractère hors du commun. Sans la ténacité de son auteur, cet ambitieux projet ne se serait sans doute jamais remis des nombreux refus qu’ont essuyés ses demandes d’accès à l’information.

Pour le lecteur peu au fait des aléas de la recherche universitaire, c’est surtout la qualité de l’écriture de Frédéric Bastien qui saute aux yeux. Son style, son souffle, sa capacité à décrire et à reconstituer le récit de ce suspense politico-historique font souvent oublier le long et fastidieux travail de dépouillement d’archives qui a eu lieu en filigrane. Il dispose aussi d’un sens politique, d’un esprit de discernement et d’une aptitude à raconter qui lui permettent de reconstituer et de contextualiser des dynamiques qui, n’eût été son habile récit, resteraient infiniment complexes pour le lecteur.

Alors qu’il n’est pas juriste de formation, Frédéric Bastien embête et bouscule aussi le petit «entre-soi» de la communauté juridique, lequel aime bien se réfugier derrière la technicité des choses pour s’éviter le fardeau de justifier ses choix dans la sphère publique. Qu’il soit question des étranges rencontres des juges Laskin et Estey au moment de la «bataille de Londres» ou de la plainte déposée en novembre 2019 contre la juge en chef Duval-Hesler – laquelle se croyait autorisée à participer aux activités d’une association directement engagée dans la contestation de la Loi sur la laïcité de l’État alors qu’elle avait précisément eu à se prononcer sur ce sujet –, Frédéric Bastien dérange un pouvoir judiciaire peu habitué à cette forme de vigilance critique. De son action contre l’unilinguisme de la gouverneure générale Mary Simon au financement de la contestation de la loi 21 par les villes canadiennes, en passant par l’exclusion des hommes blancs non handicapés aux appels à candidature de chaires de recherche du Canada, Frédéric Bastien répond à l’activisme judiciaire par son propre activisme.

La contribution de Frédéric Bastien et de son ouvrage, La Bataille de Londres, à l’histoire constitutionnelle est un legs exceptionnel, tant par l’ampleur du travail d’archives effectué que par la qualité de l’écriture et la clairvoyance des analyses qu’on y trouve. Les partisans de l’unité canadienne sont confrontés aux multiples visions concurrentes du fédéralisme alors que les indépendantistes y décèlent de nombreuses preuves de la duplicité de Pierre Elliott Trudeau. Incidemment, le portrait que dresse Frédéric Bastien de ce dernier – combatif, audacieux, souvent téméraire – est certes critique, mais il rend compte de la pleine mesure de son oeuvre, alors qu’il a non seulement réussi à atteindre l’essentiel de ses objectifs, mais a également su empêcher ses successeurs de modifier l’idéal constitutionnel qui était le sien.


 

La contribution de Frédéric Bastien et de son ouvrage, La Bataille de Londres, à l’histoire constitutionnelle est un legs exceptionnel […].

Extrait de la préface


 

Dans La Bataille de Londres, le lecteur étranger à la vie constitutionnelle canadienne découvre les nombreux paradoxes et ambiguïtés du fédéralisme canadien. Même à ce jour, l’héritage du rapatriement et de la charte canadienne n’est pas aussi tranché qu’il en a l’air. La primauté de la charte des droits s’impose au quotidien dans bien des cas, mais elle doit aussi coexister avec la souveraineté parlementaire qui persiste grâce à la disposition de dérogation prévue à l’article 33. Le juge chargé de définir les droits et libertés voit la plupart du temps son interprétation prévaloir sur la volonté des élus du peuple, mais ces derniers peuvent – comme en témoignent les exemples récents de la Loi sur la laïcité de l’État et la réforme de la Charte de la langue française – se réclamer d’un pouvoir de dernier mot par le recours à la disposition de dérogation (parfois dite clause nonobstant).

Soulignons en terminant que, malgré le rapatriement, des liens constitutionnels perdurent avec le Royaume-Uni à travers une monarchie partagée: une union personnelle de deux couronnes autour d’un même souverain, Charles III. Lorsque ma collègue Geneviève Motard et moi nous sommes investis à partir de juin 2013 dans la contestation des règles de succession royale, nous avons vu les autorités fédérales canadiennes réussir à convaincre les tribunaux que les Britanniques détenaient encore la capacité de légiférer à notre place. Comme si le rapatriement n’avait pas eu lieu, la Cour d’appel du Québec a retenu cette étrange théorie suivant laquelle, en vertu d’une règle non écrite, les changements que le Parlement de Westminster apporte à ses règles de succession royale – même après 1982 – sont automatiquement reconnus et intégrés en droit canadien, et ce, sans que les parlements du fédéral et des provinces aient à modifier l’état du droit positif.

À l’époque, Frédéric Bastien nous avait aidés par la production d’un rapport d’expertise visant à démontrer que jamais, durant les négociations préalables au rapatriement, il n’avait été question d’une telle exception à l’indépendance canadienne. Qu’à cela ne tienne, cette «exception» en faveur de l’organisation de la monarchie a prévalu et marque un recul en ce qui a trait à l’autonomie du Canada. Si l’anecdote est révélatrice des ambiguïtés et controverses qui entourent le rapatriement de la Constitution, elle est aussi un rappel, à une échelle plus personnelle, des retombées directes et indirectes que continue d’avoir le long travail d’analyse des archives britanniques mené par Frédéric Bastien.


Livre publié dans la collection « Boréal compact ».
Préface de Patrick Taillon.