Scott ThornleyMémoire brûlée

Beauté, musique, meurtres et souvenirs définissent d’un même souffle ce roman noir à l’atmosphère envoûtante.

Notre entretien
avec Scott Thornley

Vous êtes à la tête d’une société de marketing et de design que vous avez fondée il y a plus de trente ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre premier roman policier à l’âge de soixante ans?

Ma première femme, qui était aussi mon amour de jeunesse, est morte d’un cancer à quarante-deux ans. Et pendant des années, bien après avoir retrouvé le bonheur dans un second mariage, je rêvais encore d’elle. Vers 2006, j’ai connu sept mois de cauchemars si vifs et si terrifiants que je les notais dans le noir en pleine nuit, m’imaginant qu’ainsi ils ne reviendraient pas me hanter à l’instant même où je me rendormirais. J’en suis venu à redouter le sommeil. Le matin venu, je ne relisais jamais ce que j’avais écrit.

Peu de temps après la fin de ces rêves, ma femme a ouvert mon journal sur ma table de chevet et l’a lu comme s’il s’agissait d’un récit continu. Elle m’a encouragé à écrire un livre à partir de ces « histoires ». Alors que nous partions pour notre maison dans le sud-ouest de la France quelques semaines plus tard, j’ai pris le journal, des carnets, des blocs-notes et mon ordinateur portable, et je me suis mis à l’écriture.

La victime est violoniste, tout comme la défunte épouse de MacNeice, et MacNeice est lui-même un mélomane qui écoute Schubert et Miles Davis. Pourquoi avez-vous choisi de centrer l’intrigue de Mémoire brûlée autour de la musique ?

La musique est l’histoire de ma vie. Ma première femme était musicienne, tout comme mon fils, Ian Thornley. Une grande partie de mon travail de conception graphique concerne des projets musicaux, du classique au jazz et au rock – et bon nombre d’artistes sont devenus mes amis et le sont restés. Je voulais que MacNeice soit un personnage en trois dimensions. Je voulais connaître sa vie intérieure, et l’art et la musique en font partie. Mon épouse était chanteuse folk et enseignante; notre maison et les ateliers où j’ai travaillé étaient remplis de musique.

Pour Mémoire brûlée, le Trio pour piano et cordes no 2 en mi bémol majeur de Schubert est si évocateur qu’il s’insérait parfaitement dans la scène de la jeune violoniste en robe de mousseline qui est retrouvée morte. Schubert était malade quand il composa ce chef-d’œuvre en 1827 et il mourut de la fièvre typhoïde l’année suivante; il n’avait que trente et un ans. Dans le roman, le bruit de l’aiguille du tourne-disque qui saute et les notes que fait jouer encore et encore le bras de lecture emplissent la pièce morne et vide où est allongée la victime. Pour l’anecdote, l’enregistrement auquel je pensais en écrivant cette scène et que MacNeice entend en découvrant le corps a été réalisé par des amis: le trio Gryphon (Analekta). En fait, j’aimerais bien inclure à la fin de chaque tome de la série un petit guide qui recense toutes les pièces mentionnées au fil des pages.


Quand vous vous lancez dans un nouveau roman, commencez-vous par mettre au point un plan détaillé ou vous laissez-vous porter par l’écriture?

Issu de mes rêves, Mémoire brûlée s’est écrit en quelques mois. Le roman est venu de manière si fluide que je ne me suis pas vraiment rendu compte que j’étais en train de faire un polar. Depuis, j’écris avec ce genre précis en tête, mais chaque livre continue de se déployer naturellement. Bien sûr, compte tenu de l’aisance avec laquelle j’avais rédigé le premier, je me suis demandé s’il ne valait pas mieux que je construise l’intrigue du deuxième avant de me mettre à l’écriture, mais j’ai rapidement écarté l’idée. Je crois en l’existence d’une « muse ». Toutefois, comme le dit si bien Billy Wilder, « la muse doit savoir où vous trouver ». J’ai donc fait un pacte avec MacNeice : il ignore quand et pourquoi quelque chose va se produire – tout comme moi –, mais nous savons tous les deux que nous ferons la route ensemble. Pendant des décennies, j’ai abordé mon travail de graphiste de manière intuitive, et c’est ce que je continue de faire avec l’écriture.


 

Issu de mes rêves, Mémoire brûlée s’est écrit en quelques mois. Le roman est venu de manière si fluide que je ne me suis pas vraiment rendu compte que j’étais en train de faire un polar. 

Extrait de l’entretien


 

MacNeice possède un sens de l’observation extraordinaire, mais aussi une grande sensibilité. Il y a des passages dans votre livre qu’on pourrait même qualifier de poétiques, par exemple lorsque l’enquêteur se remémore les moments passés avec sa femme. Qu’est-ce qui vous a guidé dans la construction de votre personnage ?

MacNeice est un « observationniste », comme le dit un des personnages du livre; il est également très curieux. Du temps où son épouse était encore en vie, sa curiosité lui permettait de se plonger dans l’écoute de la pièce de Chostakovitch qu’elle interprétait au violon, alors même qu’il observait avec émerveillement ses muscles fins dansant le long de ses épaules et de son dos. Outre la musique classique, sa femme l’a initié à l’art et à la poésie… et aux essais de Montaigne. En contrepartie, MacNeice lui a appris à observer et à écouter la nature, à rester immobile et à attendre que la forêt parle… et il lui a aussi appris que Thelonious Monk est un génie.

Si les passages avec Kate sont empreints d’un certain lyrisme, c’est notamment parce que les souvenirs ne s’illuminent jamais autant que sous une lumière douce.

J’ai l’habitude de dresser le profil d’un personnage jusqu’à en faire une personne en chair et en os, dotée d’un cœur et d’un esprit, au point où je serais capable de le reconnaître dans une file d’attente ou une rue bondée. De cette manière, je sais immédiatement si ce que j’ai écrit est crédible. Pour revenir sur la vie intérieure de MacNeice, le lien puissant qu’il entretient avec la nature ainsi qu’avec sa femme morte depuis longtemps sont pour lui des moyens inconscients de faire face à la violence et au chaos d’un homicide, à la tragédie qu’un meurtre représente. Il est également vrai que Kate comble un vide dans sa vie, ce qui l’empêche de passer à autre chose.

Pour donner corps à chaque personnage, à chaque lieu, à chaque situation, je fais une quantité considérable de recherches. Ainsi, même s’il s’agit d’une œuvre de fiction, chaque mot est ancré dans le réel. Pour vous donner un exemple, je consulte depuis le début une amie proche qui est psychiatre clinique. Elle me conforte dans ma conviction que MacNeice souffrirait très probablement du syndrome de stress post-traumatique, et que son attachement à Kate – qui évolue nettement au cours de la série – aide à le garder sain d’esprit. Cela dit, MacNeice conserve tout de même une bonne bouteille de grappa à portée de main qu’il peut s’enfiler en cas d’urgence.


La ville de Dundurn, où se situe l’action du roman, ressemble beaucoup à Hamilton, en Ontario. Y a-t-il un lien entre les deux?

Dundurn est Hamilton. J’y ai grandi dans un foyer brisé et parfois violent. Mon frère et moi étions sans cesse ballottés entre des parents en conflit ouvert et des grands-parents que tout opposait. Pourtant, ces circonstances défavorables étaient largement compensées par les rues et les ruelles, et bientôt par la ville entière. Hamilton est traversée par l’escarpement du Niagara (que nous appelons, sans la moindre ironie, « la montagne ») et elle est entourée d’eau sur trois côtés. C’est le paradis pour un garçon, surtout quand il a une imagination fertile. Il y a des forêts, plus de cent chutes d’eau, des canaux, des plages et des sentiers sinueux sur les flancs de la montagne. Hamilton fait partie de moi. Enfant, je la trouvais magnifique – une cité dans une contrée féérique –, et je n’ai toujours pas changé d’avis. Les enquêtes de MacNeice m’ont donné l’occasion de parcourir à nouveau ma ville natale.


 

J’ai l’habitude de dresser le profil d’un personnage jusqu’à en faire une personne en chair et en os, dotée d’un cœur et d’un esprit, au point où je serais capable de le reconnaître dans une file d’attente ou une rue bondée. 

Extrait de lentretien


 

Entrevue traduite de l’anglais (Canada).
Livre traduit de l’anglais (Canada) par Éric Fontaine et publié dans la collection « Boréal Noir ».