Michael Delisle Le Palais de la fatigue

Écrire pour transmettre.

Notre entretien
avec Michael Delisle

Dans votre recueil, différents personnages racontent des histoires, mais ils ne sont pas tous écrivains. En quoi l’écrivain se distingue-t-il ?

Si on raconte pour divertir, l’écrivain a possiblement d’autres visées: instruire l’autre d’une vérité qui ne passe pas autrement que par le récit. L’histoire racontée peut être le véhicule d’une forme de conscience. C’est comme une intention de magie.

Lorsque le narrateur raconte une histoire à son neveu, elle tombe à plat. N’est-ce pas le risque de tout artiste de proposer quelque chose qui serait incompris ?

Évidemment. On ne dit jamais assez à quel point la littérature dépend de la compétence du lecteur.


Vous évoquez à quelques reprises la « voie » que l’artiste découvre et qu’il doit suivre. On pourrait déceler là une dimension quasi religieuse. Aurait-on tort ?

Le vocabulaire religieux abonde en termes qu’on traduit aujourd’hui par des mots de la psychologie ou de la psychiatrie. L’acédie est devenue une dysthymie. La déréliction est une forme de névrose abandonnique. Ainsi de suite. Les officiants ont changé mais les maux demeurent. On parle ici de la « voie » d’un artiste comme on pourrait parler de mission d’existence, de projet d’œuvre, de carrière. La question qui est posée dans le livre est peut-être celle-ci: constater le terme d’une œuvre peut-il être une forme insidieuse de dévoiement? Je m’étonne qu’on ait si peu abordé le sujet, alors que les exemples sont si nombreux. Combien de figures littéraires de premier plan d’il y a vingt ou trente ans ont tenu bon, combien ont lâché et pourquoi? On se souvient tous de têtes d’affiche qui devaient supposément mener une nouvelle génération d’écrivains et qui ne sont plus dans le décor. Pourquoi ont-elles renoncé à ce qui semblait donner un sens à leur vie ? Dans quelles conditions a été vécu cet abandon ?


La famille, chez vous, prend la forme d’une fatalité. Pensez-vous qu’il faille s’en extraire ?

Traverser une phase d’exil est une condition de la réalisation de soi. Pour moi, c’est obligatoire. Si on ne sort pas de la maison, on échoue à enrichir son milieu. Même — et surtout, peut-être — avec une famille idéale. Je ne vois pas comment un artiste peut transformer son environnement, sa société, s’il n’a jamais été nourri par l’expérience de l’exil ou par l’épreuve de la distance.


Extrait de l’entrevue réalisée pour Le Boréal Express au printemps 2017.
Livre publié dans la collection « Boréal compact ».