Markoosie PatsauqChasseur au harpon

Le chasseur qui venait du froid.

Extrait

Avec ce roman écrit en inuktitut et traduit directement en français pour la première fois, Markoosie Patsauq nous offre le récit d’un terrible combat entre l’homme et son environnement.


Kamik marche depuis très longtemps, il a couvert une grande distance. Comme la glace est très accidentée, ses pieds lui font mal et ses bottes sont en train de se trouer. Il porte son regard au loin, voit les montagnes et décide de continuer dans cette direction. Il pense que les montagnes sont peut-être à deux jours de marche. Il commence à avoir faim, mais se garde de manger pour que sa réserve de nourriture ne s’épuise pas trop vite. Il mangera seulement ce soir, avant de se coucher. Il voudrait chasser le phoque au trou de respiration, mais il ne peut pas se permettre de s’arrêter. Ses pieds douloureux lui signalent que ses bottes sont trouées. Il voit sa peau à travers. Affamé, exténué, il commence à penser qu’il vaut peut-être mieux mourir. Mais non, il veut vivre et rentrer chez sa mère. Il est tellement pris dans ses pensées qu’il ne fait plus attention à son chemin et tombe sur la glace.

Il n’essaie pas de se relever. Il reste où il est, prend son harpon, s’agenouille sans le lâcher et dirige celui-ci vers sa gorge. Il veut se suicider. Peut-être se sentira-t-il mieux en mourant, se ditil. Le harpon touche sa gorge, il est prêt à l’enfoncer. L’instant d’après, il le jette dans la neige et se met à pleurer. Il reste là, en larmes, sans bouger. Puis il dit: «Se suicider n’est pas digne de moi! Les chasseurs ont une vie digne, je veux que ma vie le soit aussi. Que fera ma mère quand elle apprendra que mon père est mort?» Puis il recommence à pleurer.

De nouveau, la nuit tombe. Il est temps de dormir, et Kamik construit un nouvel iglou. Mais avant d’avoir terminé, il se dit qu’il est peut-être préférable de continuer à marcher. La nuit, les animaux ne pourront pas le voir. Il sait que les ours blancs peuvent flairer un homme, mais marcher la nuit lui paraît tout de même avantageux. Il aurait cependant sommeil. Or ce ne serait pas le moment de dormir debout.

Il se dit que, quand il atteindra la terre, il chassera. Il n’a pas le choix, il doit chasser même si cela le ralentit. S’il ne trouve pas d’animaux sur la banquise, il essaiera sur la terre. Il s’y trouve des caribous, des loups, des bœufs musqués, des lemmings. Il les chassera une fois là-bas. S’il n’y a pas d’animaux, eh bien, il mourra.

Sur ces pensées, il part en marchant dans la nuit.


Livre traduit de l’inuktitut (Canada) par Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu.