Robert LalondeLa Reconstruction du paradis

La quête éclairée d’un homme au carrefour des recommencements.

Notre entretien
avec Robert Lalonde

Sans vouloir faire un jeu de mots maladroit, avez-vous l’impression que l’incendie qui a détruit votre maison vous a permis de renaître des cendres et qu’il a propulsé encore plus, si cela est possible, votre envie de voir, de lire et d’écrire ?

L’envie – ou plutôt la nécessité – d’écrire n’a pas subi de radicale métamorphose. C’est encore et toujours la plus forte façon pour moi de voir le monde qui m’entoure, c’est-à-dire le réel et l’imaginaire emmêlés, la vie telle qu’elle m’est imposée et celle que le phosphore de la fiction m’autorise à croire plus vraie que la prétendue réalité.

Simplement, l’incendie et les remugles qu’il a abandonnés dans mon corps et dans ma cervelle m’ont rendu sensible en diable au temps qui passe et au danger que représente le poids des habitudes…

Puisque vous n’avez plus accès aux quelque quatre mille livres vaillamment annotés qui constituaient votre bibliothèque personnelle, il en reste ce qu’avec le temps chacun d’eux vous a apporté. De ces lectures, qu’y a-t-il d’intact en vous ?

Les livres partis en fumée sont comme des amis en allés, mas non pas disparus. Ils me reviennent par fragments, comme, justement, les paroles des disparus. Je reconnais la grande pertinence des aphorismes de ces sentinelles, mentors et camarades d’écriture. « Tu ne fus, tu n’es, tu ne seras jamais seul, me chuchotent-ils à l’oreille. Tu es des nôtres, ensemble nous écrivons toujours. »


 

Simplement, l’incendie et les remugles qu’il a abandonnés dans mon corps et dans ma cervelle m’ont rendu sensible en diable au temps qui passe et au danger que représente le poids des habitudes… 

Extrait de l’entretien


 

Le livre Leaves of Grass du poète Walt Whitman, que vous vous êtes mis à traduire, est un des rares qui ont pu être sauvés des flammes. Croyez-vous qu’il s’agisse d’un hasard si ce bouquin qui parle de la grandeur de l’expérience humaine a pu être épargné ?

Qu’est-ce que le hasard ? Peut-être est-ce tout bonnement l’œil qui brusquement s’ouvre sur une hypothèse jusque-là ignorée et qui risque de vous faire voir enfin à quel point vous cheminiez en automate dans un monde que vous jugiez trop complexe pour l’aborder de front… Whitman était l’interlocuteur idéal, lui qui a traversé ses anneaux de feu sans cesser de chanter le mystère radieux du simple fait de vivre.


Vous écrivez : « Le nouveau temps est désaccordé. » Justement, ce temps qu’on érige en horaire, que peut-il nous apprendre lorsqu’il est rendu à lui-même ?

Eh bien, que le temps est, a toujours été, sera toujours désaccordé et qu’il est périlleux d’exister dans l’orbe d’un temps comptabilisé qui tourne sans cesse sur lui-même. Mieux vaut s’aventurer aveuglément, mais les sens et la mémoire aux aguets – sans eux, impossible d’écrire – dans le simple et magique instant présent qui détient la clef d’une joie et d’une perplexité à nulles autres comparables.


 

De passage nous sommes tous, arrivés nous ne sommes jamais : nous transitons, emplis à égale mesure de confiance et d’effroi. 

Extrait du livre