Joel Belliveau et Marcel MartelEntre solitudes et réjouissances

Pourquoi fêter sa nationalité ?
Pourquoi commémorer la naissance d’un pays ?

Extrait

Cet essai collectif offre un regard singulier sur ces lieux de mémoire complexes que sont les fêtes nationales en retraçant les origines et l’évolution de celles que célèbrent les Canadiens d’expression française. 


Ce livre innove, car il s’intéresse à la manière dont ces fêtes sont conçues par leurs organisateurs, mais aussi comment elles ont été « vues d’en bas », c’est-à-dire comment les gens se les sont appropriées. Cette histoire « vue d’en bas » ne porte cependant pas sur l’ensemble de la population canadienne. Elle s’intéresse aux francophones, à ceux du Québec mais aussi à ceux qui demeurent ailleurs au Canada. Après tout, les communautés canadiennes-françaises, comme elles s’appelaient avant les années 1960, célèbrent la Saint-Jean-Baptiste. Il est instructif de découvrir sa transformation depuis le XIXe siècle. Quant aux Acadiens des Maritimes, l’évolution de leur fête nationale offre un parallèle intéressant, quoique par moments contrastant, avec les transformations de la fête nationale au Québec. Si les chapitres sur la reine Victoria et sur la Confédération traitent de la façon dont les Canadiens anglais participent à ces fêtes, ces informations sont incluses pour contextualiser la participation des francophones. Après tout, ces deux fêtes sont conçues pour l’ensemble des Canadiens, y compris les Canadiens français. L’ouvrage étudie son objet sous trois aspects particuliers: le contenu des fêtes nationales et les tensions qu’elles provoquent, la manière dont les francophones les célèbrent et, enfin, le rôle des États fédéral et provinciaux.

L’organisation des fêtes nationales donne lieu à des conflits parmi les promoteurs, les organisateurs, les participants et les spectateurs. Ils sont inévitables. Comme le souligne Pierre Nora, les mémoires collectives ne sont pas un phénomène spontané. Elles sont créées et actualisées, et les fêtes nationales jouent à cet égard un rôle vital. Puisqu’elles valorisent une identité commune, il ne faut pas s’étonner que des individus et des groupes contestent les orientations des festivités et la manière dont le vouloir-vivre collectif est promu. Le sociologue Émile Durkheim fut peut-être le premier à saisir les enjeux des fêtes nationales, affirmant en 1915 que ces nouveaux rituels créés par les États modernes représentaient une stratégie nécessaire à la consolidation de sentiments d’appartenance et d’une identité commune dans les grandes communautés de type gesellschaft, où les liens communautaires traditionnels s’estompent. Dans son étude sur les fêtes nationales et civiques aux États-Unis, Ellen M. Litwicki observe que certaines communautés ethnoculturelles, notamment les Afro-Américains, sont à l’avant-garde de leur contestation. Ces festivités devraient rallier l’ensemble de la population, mais ce n’est pas le cas pour les Afro-Américains, qui peinent à s’identifier avec les composantes de l’identité américaine qui y sont mises en avant.

Comme le montre le présent livre, les francophones marquent eux aussi parfois leur opposition aux célébrations officielles en élaborant des stratégies de contestation, notamment avec la promotion de la fête de Dollard en réponse à la fête de l’Empire et à celle de la reine Victoria.

L’approche « vue d’en bas » révèle la présence de tensions entre les individus et les organisateurs de ces célébrations nationales. Lorsque les festivités de la Saint-Jean-Baptiste, de l’Empire et de l’Assomption entrent en concurrence avec le travail salarié, les individus doivent décider s’ils participent ou pas. De leur côté, les organisateurs et les promoteurs cherchent à susciter une forte participation, pour ainsi démontrer la vitalité de la communauté et surtout sa fierté à l’égard de l’identité nationale.


Avec des textes des historiens Joel Belliveau, Marc-André Gagnon, Dominique Laporte, Marcel Martel, Serge Miville et Michael Poplyansky.