Martin Pâquet et Stéphane SavardBrève histoire de la Révolution tranquille

Situer, vivre, se souvenir :
un essai-synthèse sur une période charnière de notre histoire.

Notre entretien
avec Martin Pâquet et Stéphane Savard

 

Critiquée ou considérée comme un âge d’or, la Révolution tranquille occupe une place privilégiée au Québec. Elle est généralement associée aux seules années 1960. Or, votre ouvrage couvre la période allant de la mort de Maurice Duplessis en 1959 jusqu’à l’instauration de la loi 111 en 1983. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce choix ?

Nous sommes des historiens. Comme historiens, découper le temps en périodes nous oblige à trouver une logique d’ensemble pour unir des événements disparates. Nous nous sommes donc demandé ce qui caractérisait spécifiquement les années de la Révolution tranquille. Puisque nous œuvrons en histoire politique, l’État constitue une référence obligée. La Révolution tranquille a vu l’hégémonie d’une représentation de l’État québécois comme moteur du développement social, économique, culturel, national, etc. Cette représentation de l’État devient importante à partir de la mort de Maurice Duplessis pour une majorité de citoyens et de citoyennes. Malgré quelques variations, elle se maintient jusqu’à la récession économique des années 1980, où l’on juge que l’État-providence ne peut plus répondre aux défis contemporains. L’instauration de la loi 111 en 1983, qui impose le retour au travail des enseignants et des enseignantes en grève illégale, constitue l’événement de rupture où cette représentation de l’État n’apparaît plus comme la principale option. Entre ces deux balises temporelles fondées sur la représentation de l’État, la Révolution tranquille nous apparaît ainsi comme un bloc nervuré par de multiples tendances.

Votre ouvrage est construit en trois temps : situer la Révolution tranquille, la vivre et s’en souvenir. La première partie place la Révolution tranquille dans son contexte québécois, canadien, américain et international. En quoi ce qui se passe au Québec est semblable à ce qui se passe ailleurs ?

De tous les temps et de toutes les époques, le Québec fait partie du monde. Le Québec des années 1960 s’inscrit donc dans le contexte international des « Sixties », période d’éveil politique des baby-boomers, de la contre-culture qui y est associée et de nombreux mouvements de contestation. La décolonisation dans les pays du Tiers-Monde, les contestations comme celles de la guerre du Vietnam, l’émergence des petites nations, la sécularisation, le mouvement féministe ainsi que les luttes pour les droits civiques des Afro-Américains ont des échos au Québec. Ces phénomènes influencent la pensée et le militantisme de nombreux citoyens. Ces derniers vont s’y référer dans le cadre des enjeux québécois : en élargissant la perspective, ils vont transformer des questions comme la langue et la donne constitutionnelle, les débats sur l’environnement ou la reconnaissance des femmes. Dès lors, tout en étant spécifiques au Québec, ces enjeux politiques participent des tendances internationales.


 

La Révolution tranquille a vu l’hégémonie d’une représentation de l’État québécois comme moteur du développement social, économique, culturel, national.

Extrait de l’entretien


 

Bien que votre ouvrage cerne la Révolution tranquille autour d’une institution centrale, l’État québécois, vous accordez une attention particulière aux acteurs sociopolitiques à l’origine du changement social. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’action et la pensée de certains de ces protagonistes ?

Nous avons distingué les protagonistes selon le sens de leurs actions : certains cherchent à transformer la société du haut vers le bas, en amorçant des changements qui mobilisent les citoyens ; d’autres vont plutôt agir du bas vers le haut, en incitant les responsables à l’action sur des questions négligées jusqu’alors.

Les premiers sont surtout des responsables politiques et des hauts fonctionnaires : nous faisons bien sûr référence à des élus comme Jean Lesage, Daniel Johnson, Robert Bourassa, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie et Marie-Claire Kirkland, ou à des experts comme Michel Bélanger, Jacques Parizeau, Arthur Tremblay, André Marier et Yves Martin. Leurs actions visent à réformer l’État québécois pour assurer entre autres un développement socio-économique optimal.

Les seconds proviennent de la société civile : ce sont des jeunes, des artistes, des syndicalistes, des féministes, des membres des communautés culturelles et des Premières Nations, des militants dans différents groupes, etc. En politisant de nouveaux enjeux, ils visent à faire reconnaître les causes qu’ils défendent et qu’ils jugent légitimes. Pensons à des gens comme Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Marcel Pepin, Yvon Charbonneau, Louis Laberge, Nick Auf der Maur, Simonne Monet-Chartrand, Laure Gaudreault, Lucie Dagenais, Anne-Claire Poirier, Denise Boucher, Karl Lévêque, Alanis Obomsawin, Mary Two-Axe Earley, Billy Diamond, Max Gros-Louis et de nombreux autres.

L’action conjuguée de ces deux groupes de protagonistes contribue ainsi au changement social et, notamment, à réduire plusieurs inégalités. Somme toute, les protagonistes de la Révolution tranquille, ce sont les citoyens et les citoyennes qui l’ont vécue au Québec.


De votre point de vue, quels sont les principaux legs de la Révolution tranquille ?

Aujourd’hui, nous pouvons tous constater les legs de la Révolution tranquille. Ces années ne sont pas si éloignées de nous : elles font partie de notre mémoire et, selon les valeurs et convictions de chacun, il est possible de repousser l’héritage ou de se réclamer des droits de filiation.

Nous l’avons dit plus tôt : nous sommes historiens et, à ce titre, la Révolution tranquille constitue un bloc. Nous pourrions user de notre droit d’inventaire et sélectionner parmi les réalisations de cette période selon nos préférences personnelles. Certains phénomènes seraient donc de bons coups, d’autres seraient mauvais. En tant qu’historiens, il nous semble que cet exercice de sélection mémorielle serait un peu vain et, surtout, injuste pour ceux et celles qui, à leur manière, ont vécu cette période. Comme c’est le cas pour nous aujourd’hui, les contemporains de la Révolution tranquille sont des êtres de leur temps : ils ont agi en fonction de leurs références temporelles. Dès lors, cette période de l’histoire québécoise nous montre comment des individus ont agi devant les enjeux de leur temps. Pour nous, encore une fois de notre point de vue d’historiens, le principal legs de la Révolution tranquille est celui de pouvoir comprendre ces expériences humaines.


 

De la mort de Maurice Duplessis en 1959 à la fermeture de Schefferville et ladoption de la loi 111 en 1982 et 1983, la Révolution tranquille voit le vivre-ensemble au Québec se transformer de manière importante.

Extrait du livre


Livre publié dans la collection « Brève histoire ».