Gil AdamsonLe Fils de la veuve

Dans les contrées sauvages de l’Ouest canadien, entre périls et splendeurs, les péripéties d’un garçon à la recherche de son histoire.

Notre entretien
avec Gil Adamson

Votre roman Le Fils de la veuve se déroule dans le même monde fictif que celui de La Veuve. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire une suite?

À vrai dire, je considère Le Fils de la veuve comme une suite autonome de La Veuve. Quand je lis, je n’aime pas sentir qu’un événement d’un bouquin précédent m’est inconnu, et j’aime encore moins quand l’auteur résume ce qu’il s’est produit. C’est peut-être inévitable dans certains genres comme le polar, mais Le Fils de la veuve est un livre littéraire. J’ai donc tout fait pour que les lecteurs puissent le lire sans avoir l’impression d’avoir manqué quelque chose. Après tout, Jack lui-même ignore tout du passé de ses parents. Rien ne vous empêche de lire les deux romans dans le désordre. Ce serait même une expérience intéressante : vous découvririez que la mère de Jack était d’abord une jeune femme en détresse.

Mais, pour revenir à la question, c’est un simple commentaire d’une lectrice qui m’a incitée à garder le même univers. Je venais de lire un extrait de La Veuve devant les membres d’un club de lecture quand une femme assise près de moi a murmuré tout bas (elle ne s’adressait pas à moi; c’était donc une question qu’elle se posait vraiment) : « Je me demande quelle sorte de parents ils feront. » Elle voulait parler de Mary Boulton et William Moreland. Sa question était excellente, car il s’agit de deux personnages très particuliers : des ermites, des solitaires, des gens qui vivent en marge de la civilisation. Ce qui m’intéressait encore davantage, c’était d’imaginer quel genre d’enfant ils auraient, et comment ils l’élèveraient. Ce que donnerait une éducation en pleine nature, autrement dit. Quelle personnalité aurait l’enfant qui grandirait à leurs côtés? C’est ainsi qu’est né Jack Boulton.

Dans ce livre, vous vous attardez donc au personnage de Jack Boulton. Pourriez-vous nous parler un peu de lui et de sa relation avec son père? Était-ce un défi de vous mettre dans la peau d’un garçon à l’orée de l’adolescence?

Comme je n’ai jamais été un garçon de treize ans, j’étais soucieuse de bien faire les choses – ou du moins de ne pas mal faire.

Jack n’est plus complètement un enfant ni encore un adulte, ou on pourrait dire qu’il est à la fois enfant et adulte. C’est un âge étrange pour un garçon. Je ne savais pas trop comment m’y prendre. J’ai donc demandé à mes amis masculins ce dont ils se souvenaient de leur jeunesse. Mais ils m’ont tous répondu qu’ils ne se rappelaient pas grand-chose! Et je ne crois pas qu’ils cherchaient à éviter la question : ils semblaient tout simplement incapables de se souvenir de quoi que ce soit. Vraiment!? (Demandez à une femme de vous décrire sa vie à treize ans et vous obtiendrez à coup sûr une longue réponse.) Alors j’ai essayé d’imaginer la personne que pouvait être Jack; je me suis concentrée sur son tempérament, sur sa personnalité, et je me suis efforcée de lui insuffler une bonne part de qui je suis. À mon avis, c’est la meilleure manière de donner vie aux personnages.

Il est nécessaire de faire preuve d’empathie quand on invente des personnages déplaisants ou dérangeants. (Un méchant que les lecteurs rejettent en bloc est un personnage raté, une caricature.) Il faut se débrouiller pour que les lecteurs éprouvent malgré eux de l’empathie pour les méchants. Et qu’ils aient des sentiments partagés à l’égard des gentils. Personne n’est la gentillesse ou la méchanceté incarnée; et même s’ils sont construits de toutes pièces, les personnages devraient avoir l’air d’individus en chair et en os.

Jack est un garçon calme et d’un bon naturel, mais il est furieux contre son père. Il lui reproche ses crimes mais, surtout, il lui reproche de l’avoir abandonné. Je n’ai aucun mal à comprendre la rage et la tristesse qu’éprouve un enfant laissé pour compte. Jack veut rentrer chez lui. Et c’est ce qu’il finit par faire, par ses propres moyens. Ce n’est que plus tard qu’il se rend compte des similitudes entre son comportement et celui de son père. Du début à la fin du roman, on a le sentiment que seule Mary, la mère et l’épouse disparue, les comprend tous les deux.


 

Il faut se débrouiller pour que les lecteurs éprouvent malgré eux de l’empathie pour les méchants. Et qu’ils aient des sentiments partagés à l’égard des gentils. Personne n’est la gentillesse ou la méchanceté incarnée.

Extrait de l’entretien


 

Votre prose mêle histoire, suspense, poésie et aventure. Comment vous êtes-vous prise pour écrire ce roman ? Avez-vous commencé par faire des recherches? Aviez-vous un plan détaillé de l’intrigue lorsque vous avez commencé à écrire?

Je n’ai jamais recours à un plan, et j’écris plus ou moins l’histoire dans l’ordre où me viennent les scènes. Même si j’ai une idée claire de la trajectoire à suivre, je ne sais jamais exactement là où le récit va me mener, de sorte que le livre prend forme naturellement. J’espère que, grâce à cette méthode, une impression d’immédiateté se dégage à la lecture. Comme je ne m’appuie sur aucun plan, je crains parfois que l’histoire perde tout intérêt ou s’égare. C’est pourquoi je consacre beaucoup de temps à m’assurer que ce que je raconte à une réelle importance.

J’ai fait beaucoup de recherches historiques pour ce livre, en raison de la Première Guerre mondiale. À Bibliothèque et Archives Canada, dans les archives et le fonds photographique du Whyte Museum of the Canadian Rockies, du Glenbow Museum, etc. J’ai aussi lu beaucoup de livres merveilleux sur les chevaux, sur le matériel de randonnée, sur l’art de faire des nœuds et sur les pourvoiries de l’Ouest canadien. Enfin, je me suis plongé dans de nombreux romans d’aventures pour vieux enfants, comme Les Aventures de Huckleberry Finn et L’Île au trésor. Des livres que j’aimais quand j’étais petite.

Le Fils de la veuve est à mi-chemin entre le roman d’aventures et le western littéraire. Je me suis donc replongée avec admiration dans des livres comme Desperadoes et L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford de Ron Hansen, la trilogie des confins de Cormac McCarthy et The Englishman’s Boy de Guy Vanderhaeghe. Et des films, des tonnes de classiques du genre. Malgré tous leurs défauts, bon nombre d’entre eux racontent de très grandes histoires et nous font découvrir certains des plus beaux paysages de la planète.

 

À bien des égards, l’univers décrit dans le roman est éloigné du nôtre, mais il est également en passe d’être transformé par la technologie, le tourisme, la déforestation, la guerre. Diriez-vous que la quête de liberté de Jack est aussi une lutte, certes inconsciente, contre la modernité et la destruction de l’environnement ?

Absolument. Comme presque tous les personnages de mon livre, je suis d’avis que la « civilisation » peut se révéler barbare. J’ai beaucoup d’estime pour les ermites et les solitaires; les gens, une fois en groupe, ont tendance à se laisser dominer par leurs désirs, ce qui est un peu inquiétant. Et puis, la société exige souvent beaucoup trop des individus, au risque de les épuiser.

L’une des joies que m’a procurées l’écriture de ce livre a été de m’imaginer dans la peau de Jack, ce gamin habile doté d’un peu de bon sens qui vit et prospère dans un environnement sauvage, en toute liberté. En montagne plus qu’ailleurs, on sent que le monde alentour remonte à des temps immémoriaux. Pour autant, des actes horribles y sont commis, même dans le parc protégé de Banff en 1917. À l’époque, il s’agissait d’une sorte de réserve de chasse, où il était possible de tuer des animaux avec un permis payant. Les Autochtones ont été délogés du parc, où ils n’étaient plus autorisés à chasser, à pêcher et à se déplacer selon leurs méthodes traditionnelles pour éviter qu’ils gâchent l’expérience des touristes en quête de gros gibier. C’était donc pour moi une manière de me venger de cette triste réalité que de mettre en scène un personnage comme Sampson, qui vit en plein milieu du parc sans se laisser impressionner par les rangers. Derrière l’écriture d’un roman, il y a toujours le désir d’imaginer un monde différent.

 

Non seulement vos descriptions des Rocheuses sont remarquables, mais elles jouent également un rôle important dans la mise en place de l’atmosphère du roman. Qu’est-ce que ces vastes étendues vous évoquent ?

J’ai vécu à Banff, en Alberta, quand j’étais plus jeune et j’y suis retournée des dizaines de fois depuis. C’est un endroit où je me sens tout à fait chez moi. Dans les grandes agglomérations, on fait attention aux voitures lorsqu’on traverse une rue, alors qu’à Banff, on fait surtout attention de ne pas tomber nez à nez avec un wapiti dans une ruelle. Le froid est pour moi un des nombreux plaisirs de cette petite ville : quand le mercure est tombé -35 la dernière fois où j’y suis allée, je me suis mise à rire sans pouvoir m’arrêter. (Soit dit en passant, j’aurais probablement trouvé ça moins drôle si je n’avais pas eu un endroit où me réfugier et me réchauffer.)

Bien sûr, avec le temps, les gens s’habituent aux paysages sublimes qui les entourent. Ils vont au travail en pestant contre leur patron, sans se rendre compte que la nature environnante se moque éperdument des préoccupations humaines. Malgré tout, il arrive qu’entre deux pensées ils lèvent les yeux et voient vraiment le cadre dans lequel ils vivent. Habiter dans un endroit où on n’est pas au sommet de la chaîne alimentaire a ceci de particulier qu’il faut rester sur ses gardes et faire preuve d’humilité. Comme on dit : si vous remarquez la présence d’un couguar, dites-vous qu’il vous a repéré depuis un moment et demandez-vous pourquoi il est encore là.

Jack Boulton n’a jamais rien connu d’autre que cette nature, ses périls, sa beauté. C’était donc amusant pour moi d’inverser la perspective et de le catapulter dans une petite ville. D’imaginer tout ce qu’il n’avait jamais vu auparavant : le rouge à lèvres, la livraison du courrier, un camion de pompiers. Les commérages et les brimades. Il est comme un petit ange qui voit ce monde pour la première fois. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ces scènes.


 

L’une des joies que m’a procurées l’écriture de ce livre a été de m’imaginer dans la peau de Jack, ce gamin habile doté d’un peu de bon sens qui vit et prospère dans un environnement sauvage, en toute liberté.

Extrait de l’entretien


Entretien traduit de l’anglais (Canada).
Livre traduit de l’anglais (Canada) par Lori-Saint-Martin et Paul Gagné.